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Pour une approche multidimensionnelle de la malnutrition

Historiquement, la malnutrition se réfère à l’état de sous-nutrition et à des situations nutritionnelles typiques des populations de pays en voie de développement, la malnutrition étant associée à la pauvreté et à l’insécurité alimentaire de ces pays et à des groupes de population ayant un faible revenu ou venant d’un milieu socio-économique défavorisé1. Bien que cette dimension de la malnutrition soit toujours d’actualité, depuis plusieurs années, la communauté scientifique tend à élargir l’emploi du terme à la surnutrition et définit donc deux faces simultanément présentes, non sans ambigüité.

Par définition, la sous-nutrition est le résultat principalement d’apports quantitativement et qualitativement insuffisants due à une faible consommation d’aliments ou d’énergie alimentaire. Au sens strict, la surnutrition devrait être exactement l’opposé. Certes, l’obésité résulte d’un apport énergétique en excès. Cependant, elle ne garantit pas un apport nutritionnel adéquat. Plusieurs études montrent que des personnes obèses peuvent être touchées par des déficiences en micronutriments ou minéraux, notamment fer, vitamines B12, D, B1 et acide folique2. Aujourd’hui, à l’échelle de la planète, on estime qu’une personne sur trois est sous-alimentée, carencée en micronutriments, ou suralimentée, avec parfois même une combinaison des trois regroupés parfois par le terme ‘triple fardeau nutritionnel’.

Le phénomène devient encore plus complexe parce que la malnutrition peut se manifester à trois niveaux différents: au sein d’une même population, d’une même famille voire d’un même individu et à deux dimensions temporelles: de manière permanente pendant le parcours de vie ou de manière temporaire3. Par exemple, l’association inverse entre un petit poids de naissance et le développement d’une obésité plutôt abdominale et des maladies cardiovasculaires à l’âge d’adulte a été mise en évidence par de multiples études4. Par contre, bien que la malnutrition en milieu hospitalier soit souvent temporaire, elle pèse lourdement sur la qualité de vie du patient et l’efficacité de traitement5.

En résumé, la malnutrition avec ses multiples faces est le résultat complexe d’une série de changements liés à l’environnement alimentaire, les comportements alimentaires et l’équilibre alimentaire, associés à la transition épidémiologique et démographique3. Les conséquences de la malnutrition sur la santé, la qualité de vie, le développement économique, social et médical des sociétés sont prouvées et sont lourdes3. Il est nécessaire d’avoir une prise en charge adaptée, avec une conscience profonde de cette complexité. Cette lettre va montrer les différentes situations de la malnutrition en France et dans le monde et proposer des pistes pour la prise en charge de la malnutrition par tous les acteurs de l’industrie, de la politique et de la recherche.

Dr Anne-Kathrin ILLNER, enseignant-chercheur, UniLaSalle
Département Sciences de la Nutrition et Santé (SNES),
Pôle Nutrition, Alimentation et Santé Humaine (PaNASH)
1 Blössner M, de Onis M. Malnutrition: quantifying the health impact at national and local levels. Geneva, World Health Organization, 2005. (WHO Environmental Burden of Disease Series, No. 12). 
2 Kaidar-Person O. Nutritional deficiencies in morbidly obese patients: a new form of malnutrition? Part A: vitamins. Obes Surg. 2008 Jul;18(7):870-6 
3WHO. The double burden of malnutrition. Policy brief. Geneva: World Health Organization; 2017. 
4 Meas T, Levy-Marchal C. Conséquences du petit poids de naissance sur la morbidité et la mortalité cardiovascu-laires, Sang Thrombose Vaisseaux 2008; 20, n° 5 : 239-44 
5 Cynober, L. Prise en charge de la dénutrition à l’hôpital : savoir diagnostiquer la dénutrition et ses risques de compli-cations pour mieux les prévenir et les traiter. Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, n°3, 645-660, séance du 1er mars 2011

 

Interview

Malnutrition : le double fardeau nutritionnel

Quelle réalité le terme de « double fardeau nutritionnel » désigne-t-il ?

La sous-nutrition sévère, présente non seulement en Afrique subsaharienne mais également dans tous les autres continents, est essentiellement liée à l’extrême pauvreté, aux catastrophes naturelles et aux guerres. Elle est aggravée par la corruption de certaines élites et la désorganisation économique, politique et sociale de ces pays, constituant un frein majeur au développement.

Dans tous ces pays, la transition nutritionnelle, favorisée par la mondialisation des échanges, l’urbanisation galopante, l’évolution des technologies, la sédentarisation et l’émergence d’une classe moyenne, se traduit par une occidentalisation progressive des modes de vie et en particulier de l’alimentation, avec une augmentation fulgurante de l’obésité, du diabète et des maladies cardiovasculaires, constituant une véritable « épidémie non transmissible » (par opposition aux maladies transmissibles parasitaires et infectieuses). On estime à 15 millions de personnes de par le monde, âgées de 30 à 60 ans, qui meurent prématurément chaque année d’une maladie non transmissible. Or, plus de 80 % de ces décès prématurés surviennent dans les pays en voie de développement ou émergents (PVD).

Cette coexistence entre dénutrition sévère et suralimentation pathogène constitue le « double fardeau nutritionnel » qui vient se rajouter à un autre défi : la lutte contre les maladies transmissibles qui ravagent ces pays : paludisme, tuberculose, SIDA, diarrhées, maladies infectieuses et pulmonaires.

En termes de santé publique, la difficulté pour ces pays est bien d’être en mesure de répondre politiquement et financièrement à ce double fardeau nutritionnel, sans abandonner pour autant les campagnes de prévention et d’éradication des maladies transmissibles.

Comment se fait-il que la surnutrition ne protège pas des carences ?

La « sous-nutrition » et la « surnutrition » peuvent cohabiter non seulement au niveau d’une même population (opposant les couches les plus pauvres aux classes moyennes et supérieures), mais également au sein d’une même famille, voire d’un même individu. Plusieurs phénomènes jouent :

i) Le paradoxe du double fardeau dans une même famille ou chez une même personne n’est qu’apparent : les carences nutritionnelles augmentent avec la faible diversité et la mauvaise qualité de l’alimentation à faible valeur nutritionnelle notamment en micronutriments, mais à forte densité énergétique (sucres et graisses saturées). Le « bas de gamme », peu cher et facile d’emploi, associé à l’abandon de l’alimentation traditionnelle, allie faible niveau de revenu familial, risque de malnutrition sévère et d’obésité pathogène. Lors d’une mission récente d’expertise nutritionnelle en Afrique de l’Est (Mozambique), j’ai pu constater la coexistence de mères obèses amenant dans un centre de santé leur enfant présentant un kwashiorkor, un Béribéri ou un scorbut.
ii) La ségrégation sociale est également déterminante : au Congo, dans un quartier des plus démunis de Pointe-Noire où se concentrent quantité de mères très jeunes (14-16 ans) dont les trois quarts sont porteuses du VIH, vivant de prostitution pour survivre, le service de pédiatrie de l’hôpital public local y accueille chaque mois environ 100 enfants en état de dénutrition sévère, mais n’a pas les moyens d’acheter du lait, alors que cette ville est l’une des plus riches d’Afrique. Dans le même temps, la bourgeoisie commerçante et industrielle locale, qui vit à l’occidentale, connait une forte prévalence d’obésité, de diabète et d’infarctus, traités dans des cliniques privées qui ne manquent de rien.
iii) L’exportation des excédents agricoles des pays industrialisés vers les PVD tue l’agriculture locale et appauvrit les plus pauvres à la fois sur le plan financier et sur le plan nutritionnel. Autre constat : le rôle pervers de certaines multinationales de l’agroalimentaire qui développent des produits spécifiques pour les PVD. Un soda d’une marque très connue contient, en Afrique (mais aussi dans les DOM-TOM), environ 2,5 fois plus de sucres qu’en France, les bouteilles étant de 50 cl contre 25 à 33 cl en France.

Depuis quand parle-t-on de ce double fardeau nutritionnel ? Qui sont les premiers acteurs à s’être emparés du sujet ?

L’OMS (Organisation mondiale de la Santé) a alerté les pays concernés et notamment ceux d’Afrique subsaharienne dès 2004, afin d’éviter que l’obésité, le diabète, et les maladies cardiovasculaires ne prennent des proportions telles que les systèmes de santé soient totalement dépassés.

Quels sont les pays les plus impactés ?

Tous les continents sont concernés. Rappelons qu’en France, il y a 3,7 millions de pauvres, que ceux-ci ont un risque d’obésité 4 fois plus élevé que les plus riches et sont directement concernés par ce double fardeau (Observatoire des inégalités, 2007 ; OBEPI 2015).

Au Chili, la transition épidémiologique parmi la population très défavorisée est saisissante lorsqu’on mesure l’évolution des causes de décès sur près d’un siècle (mortalité cardiovasculaire et cancers : 15 % en 1909 et 53 % en 1999, source OMS).

Le même constat est fait au Brésil où l’expropriation des petits paysans, la concentration urbaine dans les favelas et la paupérisation sont responsables d’une transition alimentaire délétère. Au Bangladesh, près de 39 % de la population rurale et 30 % en zone urbaine pauvre présentent un déficit énergétique chronique, alors que l’obésité touche près de 9 % d’entre elles. Au Bénin, une étude en milieu urbain pauvre de Cotonou montre que 16 % des familles sont touchées par ce double fardeau. Il en va de même pour quasiment tous les pays d’Afrique subsaharienne.

Quelles sont les mesures à prendre pour lutter contre ce phénomène ?

L’ONU a défini des cibles précises de nutrition pour 2025. Mais avant tout, il est essentiel dans les campagnes de prévention de la malnutrition, de prendre en compte les dimensions économiques et sociales. Car la sécurité alimentaire passe d’abord par la lutte contre la pauvreté et l’éducation, notamment des femmes. En milieu urbain, cela implique des investissements dans des programmes de formation pour l’emploi et de promotion de petites entreprises par le microcrédit. En milieu rural, la lutte contre la pauvreté passe d’abord par l’agriculture : amélioration des rendements, débouchés garantis, non concurrence des importations occidentales, arrêt de l’accaparement et redistribution des terres.

Comme la malnutrition pendant la vie foetale ou la première enfance est particulièrement préjudiciable à la survie et au développement de l’enfant tout en augmentant les risques ultérieurs de maladies chroniques, une première exigence passe par l’amélioration de la nutrition de la mère et du jeune enfant. Pour les nourrissons, l’allaitement maternel exclusif pendant six mois s’impose. Certains pays africains ont, pour cette raison, interdit la commercialisation et l’usage du biberon sur l’ensemble du territoire ! Réhabiliter les aliments traditionnels, généralement plus favorables à la santé que les aliments (et boissons) industriels est indispensable : dans ce sens, d’importants efforts d’information et d’amélioration des techniques de cuisson sont nécessaires. Ils doivent être associés à des règles éthiques et contraignantes pour les multinationales de l’agroalimentaire.

Il faut en outre que les aliments traditionnels soient accessibles au plus grand nombre, d’un prix abordable par rapport aux produits industriels et d’un usage facile pour les citadins. Car, avec l’urbanisation et le changement de modèle social associé à la mondialisation et la libéralisation des échanges commerciaux, les systèmes alimentaires sont partout profondément influencés et obligent à revoir de fond en comble les politiques agricoles, commerciales, nutritionnelles, de santé et d’éducation. En effet, la solution ne relève jamais d’un seul de ces domaines : c’est ce qui rend particulièrement difficiles les actions pérennes en matière de nutrition.

Propos recueillis par Clarisse LEMAITRE, consultante
FOODINNOV NUTRITION

Pour aller plus loin…

 

Vient de paraitre

La dépendance alimentaire de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient à l'horizon 2050

Coordinateurs Chantal Le Mouël et Bertrand Schmitt, Éditions Quae, avril 2017, 144 pages, 32 €.

La région Afrique du Nord – Moyen-Orient est marquée par sa dépendance croissante vis-à-vis des importations agricoles. Cette dépendance devrait globalement s’accentuer et atteindre, notamment en cas de renforcement du changement climatique, des niveaux extrêmes. Cet ouvrage examine le devenir du système agricole et alimentaire de cette région du monde à l’horizon 2050, à partir de divers scénarios d’évolution de la demande alimentaire.

Bien manger pendant un cancer

Emeline Lavier, Marie-Chantal Carnivenc-Lavier. Éditions Hachette Pratique, août 2017, 240 pages, 19,95 €.

Bien s’alimenter pendant un traitement contre le cancer permet de mieux le supporter, de renforcer son immunité et de préserver son moral et sa sociabilité. Mais comment faire lorsque la fatigue et les effets secondaires des traitements vont à l’encontre du plaisir de manger ? Les auteurs, une chercheuse en Toxicologie nutritionnelle et Physiologie du goût à l’INRA et une ingénieure en Alimentation & Santé, éclairent sur les bouleversements physiologiques induits par les traitements anticancéreux. Elles donnent des astuces pour bien organiser le quotidien, conseillent des aliments à privilégier en fonction de leurs propriétés nutritionnelles et gustatives. Un guide destiné aux malades comme aux accompagnants pour mieux comprendre le cancer et les traitements associés, prendre en considération leurs effets secondaires et retrouver le plaisir de la table et de la convivialité.

Salons & Évènements

Valorial'Project - Naturalité des aliments et ingrédients

7 novembre 2017, Nantes

10ème École SFN - Nanoparticules et alimentation

23 novembre 2017, Paris, AgroParis Tech (amphi. Risler)

Salon Food Ingredients Europe & Natural Ingredients

28-30 novembre 2017, Francfort sur Main (Allemagne)

Colloque Valorial - Mieux innover : l'agroalimentaire fait sa révolution

30 novembre 2017, Pacé, Le Ponant

IXème symposium du CICBAA - Allergies alimentaires

1er décembre 2017, Lille, Grand Palais

VALORIAL

8, rue Jules Maillard de la Gournerie

35000 Rennes

France

Tél : +33 (0)2 99 31 53 05

Email : valorial@pole-valorial.fr

www.pole-valorial.fr

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