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Outre-mer : trop de sucres dans les produits sucrés ?

Votée en juin 2013, la loi « visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer » interdit la distribution dans les régions et collectivités outre-mer d’aliments de même marque plus sucrés qu’en France hexagonale. Pour les aliments distribués exclusivement outre-mer, il a fallu attendre 3 ans supplémentaires pour qu’un arrêté de mai 2016 fixe la liste des familles de produits concernés (boissons hors jus de fruits, produits laitiers frais, gâteaux, glaces, produits céréaliers et chocolatiers hors confiseries).

L’initiative législative reposait sur un double constat : dans les régions outre-mer, les aliments distribués (importés ou produits localement) affichent alors des taux de sucres bien supérieurs à leurs équivalents métropolitains et la prévalence de l’obésité (IMC > 30) y atteint souvent des niveaux 2 à 3 fois plus élevés chez les adultes comme chez les enfants.

Pour les produits laitiers frais, la teneur en sucres (totaux) plus élevée en outre-mer s’explique pour partie par la technologie : la production locale s’effectue en effet à partir de poudre de lait, dont la teneur en lactose est pratiquement deux fois supérieure à celle du lait. Concernant les boissons, certaines affichaient des teneurs en sucres ajoutés de 20 à 48 % supérieures aux mêmes références hexagonales, une paille ! Les fabricants ont depuis revu leur copie. Autre difficulté, les marques locales de boissons aux fruits de la Réunion ou des Antilles étaient souvent très sucrées, au motif de répondre à une préférence plus marquée pour le sucré.

L’attirance pour les produits sucrés est bien connue mais s’inscrit-elle pour autant comme une addiction à l’alimentation pour certaines personnes ? Définition, mécanismes, expérimentation animale et discussion quant à l’application chez l’homme, c’est tout l’objet de l’interview de Serge Ahmed (directeur de Recherche au CNRS à Bordeaux), à lire dans ce numéro. En Outre-Mer, il faut noter que la préférence majorée pour le goût sucré n’est pas documentée au plan scientifique, pas plus d’ailleurs qu’une éventuelle habituation liée à l’environnement séculaire des champs de canne dans ces « îles à sucre ».

La loi s’applique en Guyane, Guadeloupe, Martinique, à la Réunion, à Mayotte ainsi qu’à Saint Pierre et Miquelon, Saint Barthélémy, Saint Martin et c’est très bien ; l’égalité républicaine face à l’offre alimentaire sucrée est tout à fait légitime ! Quant à la santé des populations, il est moins évident que la baisse de quelques grammes de sucres par yaourt ou par verre de limonade soit à elle seule déterminante, mais c’est un premier pas pour accompagner des changements d’habitudes alimentaires plus profonds.

Philippe Reiser,
Directeur des affaires scientifiques du CEDUS
(Centre d’Etudes et de Documentation du Sucre)

Interview

Comment définit-on l’addiction ?

Historiquement, l’addiction était définie principalement à partir de signes physiologiques comme la présence d’une tolérance aux effets de la drogue et la présence d’une dépendance physique qui se manifeste à l’arrêt de la consommation par une crise de sevrage. C’est le cas, par exemple, des addictions à l’alcool et aux opiacés (héroïne par exemple). Avec le développement d’autres types d’addictions – en particulier l’addiction aux psychostimulants (cocaïne, amphétamine, etc.) – la tolérance et la dépendance physique ne sont plus considérées comme les critères les plus importants. La définition de l’addiction s’est donc recentrée sur les troubles du comportement de consommation (substance use disorders en anglais).

Aujourd’hui, l’addiction est définie comme une perte de contrôle sur la consommation malgré la prise de conscience des conséquences associées (santé, relation sociale…) et un désir persistant d’arrêter ou de limiter la consommation.

Cette perte de contrôle est identifiée grâce à 11 critères comportementaux du désordre de l’usage de drogues, définis par l’association américaine de psychiatrie (American Psychiatric Association, 2015).

L’addiction est envisagée lors de la présence pendant au moins un an d’au moins 2 critères parmi les 11 possibles, la gravité du désordre comportemental augmentant avec le nombre de critères positifs.

Peut-on parler d’addiction à la nourriture ?

Depuis une dizaine d’années, les critères d’addiction aux drogues ont été adaptés à des comportements alimentaires. Ainsi, il a été établi qu’une frange significative de la population présentait au moins 3 critères de l’addiction (Flint AJ et al. 2014) : désir persistant de limiter sa consommation sans pouvoir y arriver, consommation d’une quantité supérieure à celle prévue au départ et le « craving alimentaire », défini comme un désir intense de consommer un aliment. Des études ont montré que la plupart des aliments qui faisaient l’objet d’une problématique de type addiction étaient des aliments qui contenaient une forte teneur en sucres ajoutés, tels que les boissons sucrées (Schulte EM et al. 2015). Le sucre ajouté serait une des causes principales de la consommation régulière de ce type d’aliments.

Le sucre est-il addictogène selon vous ?

Le sucre est un ingrédient ubiquitaire. Il est présent dans d’innombrables produits alimentaires, notamment sous forme ajoutée. Son accessibilité et sa consommation n’ont cessé d’augmenter au cours des trois derniers siècles.

Aujourd’hui, la consommation régulière d’aliments riches en sucre est un facteur déterminant dans le surpoids et l’obésité, et donc dans l’incidence des maladies métaboliques associées (diabète, maladies cardio-vasculaires…).

On peut effectivement envisager un potentiel addictogène lorsque l’individu, prenant conscience des conséquences négatives sur sa santé, souhaite réduire sa consommation de sucre, voire l’arrêter, mais n’y parvient pas ou seulement au prix d’un effort constamment renouvelé (critère cardinal de l’addiction) (Schulte EM et al. 2015).

Quels sont les principaux résultats de recherche sur la dépendance au sucre ?

S’il est encore difficile aujourd’hui d’être catégorique sur la question du potentiel addictif du sucre chez l’homme, la question se pose moins chez les animaux et notamment le rat. Nos recherches sur l’addiction aux drogues chez cet animal, nous ont étonnement mené à ce constat : le sucre aurait un pouvoir attractif plus fort que celui de la drogue.

Dans notre principale étude (Lenoir M et al. 2007), nous avons proposé à des animaux de laboratoire de choisir entre une dose de drogue ou de boisson sucrée (ou édulcorée à la saccharine). Deux leviers ont été proposés à l’animal : un levier déclenchant un système d’injection indolore d’une dose de cocaïne par voie intraveineuse (une des voies d’administration les plus addictives) et un levier associé à un petit volume de boisson sucrée délivré dans un abreuvoir. L’idée était de proposer les modes de consommations respectifs de ces substances. A notre grande surprise, une large majorité des rats (entre 85 et 95%) préférait la boisson sucrée à la drogue et ce quelle que soit la dose de cocaine proposée. De plus, les animaux préféraient la boisson sucrée même quand il leur était demandé de travailler plus pour l’obtenir par rapport à la drogue. La préférence est également apparue chez les animaux déjà sensibilisés à l’effet de la cocaine après une exposition chronique à cette drogue (Ahmed SH et al. 2013). Ces résultats ont été démontrés chez différentes souches de rats, chez le mâle et la femelle, les jeunes et les adultes. Par ailleurs, lors de l’interruption d’un régime riche en sucre chez des rats, ces derniers présentaient un syndrome de manque caractérisé par un état d’anxiété (Avena N et al. 2008).

Nos résultats ont été reproduits dans d’autres laboratoires de recherche avec d’autres drogues : aux Etats-Unis avec la méthamphétamine et la cocaïne (Caprioli D et al. 2015), en Australie avec la nicotine (Huynh C et al. 2015) et des résultats similaires ont été obtenus dans notre laboratoire à Bordeaux avec l’héroïne (Lenoir M et al. 2013).

Toutefois, contrairement aux autres drogues, avec l’héroïne, le pourcentage d’animaux préférant la boisson sucrée diminue sensiblement après développement d’une dépendance physique (c’est à dire d’environ 90 à 50 %).

Quels sont les mécanismes impliqués dans l’addiction de façon générale et pour le sucre plus spécifiquement ?

Le cerveau humain est composé d’un ensemble de structures corticales et sous-corticales. Parmi les systèmes sous-corticaux, il existe le système des neurones dopaminergiques qui a pour fonction, entre autres, de réguler le processus de récompense du comportement. Une récompense active ces neurones ce qui a pour effet de renforcer le comportement récompensé (Ahmed SH et al. 2013).

Toutes les drogues d’abus agissent d’une manière ou d’une autre sur le circuit dopaminergique de la récompense. Cette activation directe du circuit dopaminergique est une première étape incontournable dans le développement de l’addiction. C’est le cas par exemple de la cocaine qui agit sur les terminaisons des neurones à dopamine et induit une accumulation de ce neurotransmetteur dans les espaces synaptiques amplifiant ainsi le signal de récompense. Un autre exemple : celui de l’héroïne qui agit indirectement sur les neurones dopaminergiques. En bloquant les neurones inhibiteurs de l’activité des neurones à dopamine, cette drogue produit une augmentation de leur activité et renforce ainsi le comportement qui conduit à sa consommation.

Chez le rat, ce sont les mêmes circuits cérébraux de la récompense qui sont impliqués pour les sucres (saccharose et glucose). Lors de la digestion, le saccharose est transformé en glucose et fructose lesquels sont résorbés dans l’intestin pour ensuite passer dans le sang. Le glucose va ensuite, entre autres, nourrir les cellules du cerveau après son passage de la barrière hémato-encéphalique grâce à des transporteurs spécialisés. Le glucose active aussi le circuit dopaminergique de la récompense (Domingos AI et al. 2013 ; Tellez LA et al. 2016) en influençant l’activité des neurones de l’hypothalamus qui régulent ce circuit. Plusieurs hypothèses sont proposées pour le mécanisme d’action : une action directe sur l’activité de l’hypothalamus ou indirecte par action sur des récepteurs au niveau de la veine porte qui sont eux connectés via des nerfs périphériques à l’hypothalamus. Des études complémentaires sont nécessaires pour définir plus précisément le mécanisme d’action.

Qu’en est-il pour la saveur sucrée ? Est-elle également impliquée dans la dépendance ?

Selon notre hypothèse générale, le goût sucré serait un stimulus conditionné du glucose post-ingestionnel.

Ce dernier agirait comme un stimulus inconditionnel via son influence sur le circuit dopaminergique de la récompense et conditionnerait ainsi la préférence hédonique pour le goût sucré.

Ce conditionnement fait que la perception seule du goût sucré par activation des récepteurs gustatifs correspondants va activer également les neurones dopaminergiques. Ceci explique pourquoi la consommation d’un édulcorant qui ne produit pas de glucose-post ingestionnel peut aussi activer les neurones à dopamine.

La consommation de sucre déclenche donc doublement le circuit dopaminergique cérébral de la récompense : de façon conditionnée via le goût sucré et de façon inconditionnelle via le glucose post-ingestionnel. Ce phénomène ressemble beaucoup à celui produit par certaines drogues (Ahmed SH et al. 2013).

Une fois que ce conditionnement est mis en place, probablement très tôt au cours du développement, il peut servir de base à d’autres conditionnements, notamment à des stimuli plus distaux de l’aliment sucré, tels que les stimuli olfactifs et visuels. Ce conditionnement secondaire explique, au moins en partie, le pouvoir de la publicité sur nos choix alimentaires.

Peut-on extrapoler les résultats des expérimentations sur l’animal à des populations de mangeurs humains aux contextes et environnements variés ?

Nous ne pouvons pas, bien sûr, faire une extrapolation automatique de l’animal à l’espèce humaine. Néanmoins, toutes les grandes découvertes relatives aux drogues réalisées chez l’animal et en lien avec le circuit de récompense ont été reproduites dans notre espèce, montrant ainsi qu’il existe une continuité entre nous et l’animal dans ce domaine.

Il est vrai également que l’homme vivant dans un environnement très complexe, il est difficile d’établir avec certitude une relation de cause à effet entre le sucre en tant que tel et le comportement d’addiction alimentaire puisque les aliments contenant le sucre, contiennent également d’autres nutriments.

Il est cependant fondamental de s’intéresser à cette question puisque nous consommons aujourd’hui beaucoup trop de sucre et que cette surconsommation est à l’origine d’une morbidité et d’une mortalité précoce significative. Dans nos sociétés modernes, cette surconsommation de sucre est motivée principalement par la recherche de plaisir et non par le besoin d’énergie. Le fait que nous continuons à surconsommer le sucre malgré notre connaissance des risques pose la question de la composante addictive.

Mais attention, il faut rappeler que nous ne sommes pas tous égaux face aux addictions. Il existe une vulnérabilité individuelle importante. Par exemple, parmi les consommateurs de drogues, seule une minorité développe une addiction. Il en serait de même avec l’addiction aux produits sucrés. On peut noter d’ailleurs que la fréquence des personnes affectées augmente avec l’indice de masse corporelle et peut atteindre 30 à 40 % chez les personnes souffrant d’une obésité sévère (i.e., IMC > 35 kg/m2) (Flint AJ et al. 2014).

Propos recueillis par Amine EL-ORCHE,
Consultant LRBEVA Nutrition

 

Pour en savoir plus

Tellez, L. A., Han, W., Zhang, X., Ferreira, T. L., Perez, I. O., Shammah-Lagnado, S. J., … & de Araujo, I. E. (2016). Separate circuitries encode the hedonic and nutritional values of sugarNature neuroscience, 19(3), 465-470.

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