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A la (re)découverte des aliments fermentés

Connus depuis la nuit des temps pour leurs bienfaits sur la santé, les aliments fermentés reviennent sur le devant de la scène, portés d’une part par la recherche de produits naturels, sains (bons pour la santé) et peu transformés et d’autre part par la tendance « back to roots » sur laquelle surfent également les céréales anciennes, les légumes oubliés et autres produits ancestraux qui rassurent.

Que ce soient les analystes des bases de données mondiales de l’innovation comme Innova Market Insights1 ou Mintel2, ou les diététiciens et nutritionnistes3, tous sont unanimes : les produits fermentés (kombucha, kéfir, skyr, kimchi, yaourts, Kraut, pickles, produits au levain, miso, tempeh, .) font parties du Top 10 Trends 2018.

Cet engouement se retrouve sur le marché des produits et ingrédients fermentés qui, selon une étude de BIS Research, devrait passer de 636,89 milliards $ en 2016 à 888,76 milliards $ en 2023, soit une progression annuelle moyenne de 4,98 %4. Une autre étude de Research and Markets estime même la progression annuelle moyenne des aliments et boissons fermentés à 7 % entre 2017 et 20225.

Reste que les consommateurs, s’ils ont globalement une image positive de la fermentation qu’ils associent à la santé en général et à la santé digestive en particulier, ont une notion assez floue et parfois négative des aliments fermentés qu’ils associent à des aliments périmés6. Il y a donc un travail de communication à faire pour transformer ce buzz autour des aliments fermentés en tendance durable.

Sophie DE REYNAL, Directrice Marketing, NutriMarketing – Paris.

1https://www.projectnosh.com/news/2016/fermented-foods-30-percent-yoy-according-study
2Mintel global food and drink trends 2018 report
3http://www.nutraceuticalsworld.com/contents/view_breaking-news/2017-12-21/nutrition-survey-finds-consumers-seeking-fermented-foods
4Global Fermented Food & Ingredients Market, Analysis and Forecast (2017-2023) (Focus on Food Type: Confectionary & Bakery, Dairy, Vegetables, Non-Alcoholic Beverages, Ingredient Type: Amino Acid, Organic Acid, Vitamins, Enzymes, and Distribution Channels) – BIS Research 2017.
5Global Fermented Foods & Drinks Market: Analysis & Forecasts to 2022 – Research and Markets
6Etude sur la perception des consommateurs sur les aliments fermentés. NutriMarketing pour Valorial Décembre 2017

Interview

Les aliments fermentés

Qu’entend-on par « fermentation » ?

La fermentation est l’un des grands processus métaboliques qui génèrent de l’énergie. A l’inverse de la respiration, qui est la voie métabolique principale chez l’Homme, la fermentation est réalisée en absence d’oxygène de l’air et utilise la dégradation des matières organiques, en premier lieu les sucres, pour produire de l’énergie. Pour les bactéries d’intérêt alimentaire, cela consiste généralement à transformer des sucres en acides, sans besoin d’oxygène.

Quels sont les différents types de fermentations existantes ?

On distingue globalement les fermentations acidifiantes et les alcalinisantes. Il existe une grande diversité de fermentations. En parallèle, diverses sociétés ont développé divers aliments fermentés, en fonction des matrices et des bactéries disponibles.

La fermentation alcalinisante est plutôt liée aux champignons et aux moisissures. Leur arsenal enzymatique est plus actif et donc adapté aux végétaux dont la dégradation est plus difficile. Elles se retrouvent surtout dans la cuisine asiatique, par exemple dans l’élaboration du tempeh ou du miso.

La plus étudiée des fermentations acidifiantes est la fermentation lactique, au cours de laquelle les bactéries lactiques transforment les sucres du milieu en acide lactique. C’est le processus mis à l’ouvre notamment lorsque Lactobacillus bulgaricus et Streptococcus thermophilus « digèrent » le lactose et transforment le lait en yaourt.

On peut également évoquer la fermentation propionique, responsable des « trous » dans l’emmental, qui peut utiliser l’acide lactique comme substrat à la place du sucre. Ainsi, les différents mécanismes de fermentation peuvent se succéder et cohabiter au sein d’un même produit, comme dans le cas de l’emmental ci-dessous :

Pour le camembert, si la première fermentation « à cour » est lactique (acidifiante), elle est suivie d’une croissance en surface de la moisissure Penicilium camemberti (alcalinisante), responsable de la croûte fleurie et duveteuse du fromage.

Peut-on faire fermenter tous les aliments ?

Une grande variété d’aliments peuvent être fermentés. On connait les produits laitiers, bien sûr, mais on peut aussi penser aux produits de viande comme la charcuterie. Des travaux sont d’ailleurs en cours sur la « biopréservation », c’est-à-dire le développement de bactéries spécifiques afin d’empêcher les bactéries d’altération de croître sur des matrices comme les carpaccios de viande ou le saumon fumé. Du côté des végétaux, aussi hétérogène que soit cette catégorie, certains comme le manioc ne peuvent être consommés par l’Homme que s’ils ont subi une fermentation ; c’est le cas également du cacao, du café ou du thé dont le processus de fabrication implique en première étape une fermentation.

A notre connaissance, seul l’ouf n’est pas utilisé sous forme de produits fermentés. Par ailleurs, le blanc et le jaune sont rapidement au contact de micro-organismes responsables d’altérations dès lors qu’ils sont sortis de la coquille protectrice.

Pourquoi nos ancêtres ont-ils choisi de faire fermenter les aliments ?

Au départ, la fermentation a été utilisée par nécessité, car elle permet une meilleure conservation liée en particulier à l’acidification du milieu. Avant l’invention des systèmes de froid contrôlé, la conservation se faisait grâce au sel, au sucre ou à la fermentation qui pouvaient aussi être associés (conserves par exemple). Pour le cas des fruits et légumes, c’est ce besoin de conservation qui est à l’origine du vin, du chou fermenté (choucroute en Occident ou kimchi en Orient), des cornichons ou des olives par exemple. C’est aussi le cas du lait cru dont la durée de vie est nettement plus importante sous la forme de fromages, yaourts ou boissons fermentées. D’ailleurs, des archéologues ont montré que la fermentation lactique aurait été « domestiquée » en même temps que les animaux élevés pour leur lait (au néolithique, vers 5000 avant JC). Ils ont d’ailleurs retrouvé des poteries percées, présentant des traces de lipides laitiers, qui évoquent les paniers utilisés pour égoutter la faisselle. Les fromages au sens large seraient donc les premiers aliments fermentés maitrisés par l’Homme, avant même le pain et le vin.

Historiquement, il faut aussi rappeler qu’on n’ajoutait pas intentionnellement des bactéries mais qu’elles étaient issues de l’environnement (la vache, son alimentation, son lieu de vie, le lieu de conservation du lait.). Par la suite, les progrès techniques et scientifiques ont permis de standardiser la matière première (le lait) et d’isoler les bactéries utiles pour la fermentation afin de les réensemencer dans le lait, pour produire les produits laitiers et les rendre sûrs.

Estimez-vous que l’intérêt nutritionnel des aliments fermentés est sous-estimé à l’heure actuelle ?

Tout à fait ! Prenons l’exemple des vitamines B9 (acide folique) et B12 (cobalamine), qui ont toutes deux un rôle fondamental dans la grossesse et dans l’hématopoïèse. Des carences en ces vitamines sont sources de malformations fotales (pour la B9) et de troubles hématologiques, neurologiques et digestifs (pour la B12). Il se trouve que les bactéries lactiques et propioniques présentes dans l’emmental ou dans le kimchi, notamment, sont de grandes productrices de ces vitamines. Dans certaines populations asiatiques, l’absence de viande est « compensée » du point de vue de ces vitamines par la consommation de ce chou chinois fermenté.

Quels sont en particulier les bénéfices pour les personnes souffrant d’intolérances alimentaires (lactose, gluten) ou d’allergies ?

Concernant l’intolérance au lactose, il est clairement établi que les bactéries du yaourt (L. bulgaricus et S. thermophilus) améliorent la digestion du lactose chez les individus ayant des difficultés à le digérer. C’est d’ailleurs une des très rares allégations fonctionnelles validées par l’EFSA (Agence européenne de sécurité des aliments) concernant des probiotiques. D’autre part, les fromages sont naturellement très pauvres en lactose. Il est donc possible aux intolérants au lactose de consommer ces produits laitiers fermentés, ce qu’ils ne peuvent pas faire avec du lait cru ou pasteurisé.

Pour ce qui est du gluten, ou d’autres protéines pouvant conduire à des allergies alimentaires, bien que la fermentation puisse modifier certaines protéines par des phénomènes de protéolyse, il n’est pas démontré que ces protéines soient suffisamment modifiées pour être acceptables pour les intolérants ou les personnes allergiques. Cependant, les recherches les plus récentes indiquent que l’exposition de l’enfant, né par voie basse et allaité, à la flore maternelle (bactéries lactiques, propioniques et bifidobactéries) a un effet protecteur : elle participerait à la maturation du système immunitaire de l’enfant.

En revanche, concernant les sucres fermentescibles dans le côlon (FODMAPS) à l’origine de troubles gastro-intestinaux, la fermentation a effectivement un intérêt grâce à la « prédigestion » de ces mêmes sucres.

Comment les procédés de fermentation des végétaux augmentent-ils la biodisponibilité des protéines végétales ?

La fermentation fait partie (avec les traitements thermiques, entre autres) des procédés de transformation qui vont permettre d’améliorer la disponibilité des nutriments dans les végétaux en agissant sur les facteurs antinutritionnels. Par exemple, dans le soja et de manière générale dans les légumineuses riches en protéines, certains facteurs antinutritionnels comme les phytates, qui sont des chélateurs de minéraux, sont dégradés par certaines bactéries tandis que d’autres comme les facteurs anti-trypsiques qui perturbent la digestion peuvent être préalablement inactivés par traitement thermique en amont de la fermentation.

Pouvez-vous nous parler du « fromage anti-inflammatoire » développé par l’unité STLO ?

Un Français consomme en moyenne environ 60 g de yaourt et 30 g de fromage par jour, ce qui représente 10 milliards de bactéries par jour et par personne. C’est largement supérieur à la consommation de bactéries via les compléments alimentaires probiotiques !

Les bactéries utilisées dans les fabrications de produits fermentés sont généralement sélectionnées en premier lieu sur des paramètres techno-fonctionnels (aromatique, acidification.). Il est possible aussi de les sélectionner sur des paramètres probiotiques, pour leur intérêt santé (immunité, digestion.). L’idée de l’unité mixte de recherche INRA Agrocampus Ouest, Science et Technologie du Lait et de l’Ouf a donc été de reprendre des souches choisies dans les produits laitiers pour leur intérêt techno-fonctionnel et d’étudier leurs propriétés probiotiques en se focalisant sur leur propriétés anti inflammatoires.

Nous avons lancé le projet ANR Surfing (Starter SURFace against INFlammation of the Gut) 2011-2014 afin d’investiguer plus précisément les bactéries utilisées comme levain d’acidification (bactéries lactiques, dites « starter ») ou d’affinage des fromages (bactéries propioniques) dont les protéines de surface ont des propriétés anti-inflammatoires.

Certaines souches de Propionibacterium freudenreichii (caractéristiques de l’emmental) ont particulièrement retenu notre attention car leur intérêt immunomodulateur est aussi important que certaines souches vendues précisément pour cela. Nous avons par la suite pu identifier avec précision les protéines de surface impliquées dans l’immunomodulation.

En parallèle, d’autres scientifiques impliqués dans le projet ont fait de même avec des souches de L. delbrueckii, puis de S. thermophilus. Ces découvertes nous ont permis de mettre au point dans les conditions expérimentales un fromage de type « emmental » dont l’effet bénéfique a été avéré sur des souris modèles pour lesquelles une colite aiguë avait été induite chimiquement. Actuellement, nous avons aussi des premiers résultats encourageants sur des modèles animaux pour lesquels des colites plus chroniques avaient été induites, dans le cadre d’un Laboratoire International Associé avec l’université brésilienne UFMG (Universidade Federal de Minas Gerais).

Ces résultats offrent des perspectives à long terme pour envisager des investigations cliniques dans le but de créer un vrai fromage qui soit un aliment fonctionnel susceptible d’être utilisé en complément d’un traitement thérapeutique spécifique (amélioration de l’efficacité du traitement ou limitation des effets secondaires par l’amélioration du confort intestinal).

Quelle différence faites-vous entre ferments et probiotiques ?

Le terme de « ferments » réfère généralement à une souche utilisée pour ses propriétés techniques, tandis que les « probiotiques » renvoient aux bactéries ayant un impact favorable pour la santé. Cependant, les deux aspects sont loin d’être incompatibles. Par exemple, l’ultra-levure consommée en tant que complément alimentaire est une « cousine » très proche de la levure utilisée en panification, Saccharomyces cerevisiae. La bactérie L. casei, d’autre part, est à la fois retrouvée dans le tractus digestif et utilisée dans la fermentation des produits laitiers. Comme nous l’avons montré lors du projet SURFING, il est pertinent de partir de ferments déjà sélectionnés pour leurs caractéristiques techniques, donc robustes, faciles à cultiver et sûrs, pour étudier leur éventuel intérêt sur le plan de la santé. Ce n’est pas le cas par exemple des bifidobactéries, qui n’ont pas de propriétés technologiques particulières et sont donc uniquement des « probiotiques ».

Il est intéressant de constater qu’en tous temps, les travaux scientifiques autour des micro-organismes ont étroitement lié les considérations sanitaires et industrielles. Ainsi, Pasteur a travaillé sur les fermentations lactique et butyrique avant de mettre au point le procédé thermique qui porte son nom.

Quelle mise en garde souhaitez-vous faire concernant les aliments fermentés « maison » ?

Les aliments fermentés sont populaires en ce moment, ce qui est une bonne chose puisqu’on redécouvre enfin leurs bénéfices pour la santé. Cependant, l’utilisation des micro-organismes demande un réel savoir-faire. Comme on l’a expliqué, la fermentation joue sur un savant équilibre entre les micro-organismes protecteurs (qui permettent de conserver l’aliment) et les micro-organismes délétères. Mal maitrisés, les processus peuvent donc tourner à l’avantage de flores d’altération voire de flores pathogènes, jusqu’au développement de moisissures et de mycotoxines pouvant être toxiques à long terme. Pour les légumes, il est rare d’utiliser une matière parfaitement décontaminée et vierge de toute bactérie provenant de la terre par exemple. Par conséquent, à défaut d’une matrice, d’un ensemencement et de processus maîtrisés (c’est le cas des yaourts « maison » à base de lait UHT et faits avec une yaourtière), il n’est pas raisonnable de pratiquer une fermentation « sauvage », sans levain bénéfique adapté, au risque de voir se développer une flore nuisible pour l’aliment et/ou la santé. Les industriels et les artisans (charcutiers, fromagers.) maitrisent, eux, ce savoir-faire.

Propos recueillis par Clarisse LEMAITRE

 

Pour en savoir plus sur les aliments fermentés, vous pouvez commander le focus thématique Aliments fermentés : entre verrous réglementaires et attentes consommateurs, co-rédigé par N. Letaconnoux (CBB Capbiotek), R.Lemée-Michel (Laboratoires Standa) et B. de Reynal (NutriMarketing), sur l’espace adhérents de www.pole-valorial.fr

Vient de paraitre

Le fromage

Ouvrage collectif coordonné par J.-C. GILLIS et A. AYERBE, Éditions Lavoisier Tec&Doc, avril 2018, 1020 pp., 195 €.

Cet ouvrage réunit l’essentiel des connaissances aujourd’hui disponibles sur ce produit, qu’il aborde sous l’angle scientifico-technique. Ainsi, les fondamentaux et les lois de la biochimie et de la physico-chimie les mieux établies actuellement concernant la transformation du lait en fromage sont-ils présentés et analysés. La 4e édition de ce traité intègre également la réglementation spécifique à ce produit laitier, les préoccupations grandissantes des consommateurs en matière d’alimentation et les nouveaux modes de consommation, les interrogations des autorités de santé publique relatives aux relations possibles entre les régimes alimentaires et la santé, les évolutions à venir.

Que serions-nous sans eux ? Les microbes de notre quotidien

Murielle NAITALI, Éditions Quae, avril 2018, 128 pp., 15 €.

Bactéries, virus, levures, champignons et autres microorganismes. Souvent indispensables, parfois indésirables, les microbes nous entourent et nous habitent. Sans que nous le sachions toujours, notre cohabitation avec eux s’illustre à travers notre quotidien, de la confection de nos aliments jusqu’à la médecine légale. Cet ouvrage fait découvrir au grand public les 1001 fonctions des microbes.

Salons & Évènements

EFSA : 85ème réunion plénière (publique) du groupe scientifique NDA

28-29 juin 2018, Parme (Italie)

Workshop franco-allemand INRA/DIfe sur le vieillissement et l'alimentation des personnes âgées

10-11 juillet 2018, Berlin (Allemagne)

IFT18 : Rencontre annuelle de l'Institute of Food Technologists

15-18 juillet 2018, Chicago (Etats-Unis)

VALORIAL

8, rue Jules Maillard de la Gournerie

35000 Rennes

France

Tél : +33 (0)2 99 31 53 05

Email : valorial@pole-valorial.fr

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