Quel est le rôle que joue l’alimentation dans la prévention du déclin cognitif et de la démence ?
Plusieurs études épidémiologiques ont montré que l’alimentation, l’exercice physique, l’exercice cognitif et le maintien des activités sociales, jouaient un rôle significatif dans le maintien des facultés intellectuelles supérieures.
L’alimentation a effectivement un rôle protecteur dans la prévention du déclin cognitif et de la maladie d’Alzheimer (MA). Les données épidémiologiques actuelles sont en faveur d’un rôle protecteur de certains micro- (vitamines du groupe B en relation avec le métabolisme de l’homocystéine, vitamines antioxydantes, acides gras essentiels, acides aminés) et macronutriments dans la prévention du déclin cognitif et de la MA.
Quels sont les micronutriments impliqués dans ce rôle protecteur ?
Parmi les acides gras essentiels, l’acide docosahexaénoïque (DHA) et l’acide éicosapentaénoïque (EPA) ont été associés à une multitude d’effets neurobiologiques liés au vieillissement cérébral, notamment la modulation de la fluidité membranaire neuronale, la stimulation de la neuroplasticité, les effets anti- (neuro) inflammatoires et la réduction du stress oxydatif au niveau cérébral (Dyall, 2015).
Les vitamines B – en particulier B6, B12 et folate – diminueraient les taux d’homocystéine (Hcy) dans le plasma (Clarke et al. 2014). L’élévation du taux d’homocystéine est identifiée comme un facteur de risque vasculaire impliqué dans les dommages cérébraux. Les dysfonctionnements cognitifs pourraient en partie s’expliquer par l’élévation de l’Hcy elle-même, ou les déficits en vitamine B12 et folates.
Les antioxydants (vitamine C, E et sélénium) protègeraient contre les dommages oxydatifs et les dommages induits par l’inflammation (Wengreen et al., 2007).
Des travaux ont également montré que des concentrations basses en vitamine D sont associées à de moins bonnes performances cognitives et à une augmentation du risque de MA (Balion et al., 2012).
Il faut cependant noter que certaines discordances existant entre les études, principalement du fait de problèmes méthodologiques (facteurs de confusion pris en compte, mode de recueil des facteurs nutritionnels, formes et doses des vitamines utilisées dans les essais randomisés contrôlés), il reste actuellement difficile de proposer des recommandations spécifiques.
La consommation des aliments riches en ces micronutriments ou l’adhésion à un régime alimentaire spécifique (exemple du régime méditerranéen) est-elle associée à un effet bénéfique sur le déclin cognitif et/ou la démence ?
Un article publié, à partir des données de l’étude française des Trois Cités (3C), suggère qu’une alimentation peu diversifiée majorerait le risque de démence (Barberger-Gateau et al., 2007). Dans ce travail, la consommation quotidienne de fruits et de légumes est associée à une diminution du risque de démence. La consommation hebdomadaire de poisson est associée à une diminution du risque de MA et de démence seulement chez les sujets porteurs de l’allèle prédisposant (allèle E4 de l’apolipoprotéine E). La consommation régulière d’huiles ou de poissons riches en acides gras oméga-3 est associée à une diminution du risque de démence alors qu’une consommation régulière d’huiles riches en acides gras oméga-6 majore ce risque.
D’autres travaux ont par ailleurs montré une diminution du risque de MA chez les sujets qui suivent un régime proche du régime méditerranéen (Scarmeas et al. 2006 ; Scarmeas et al., 2007). Des données récentes montrent que les concentrations plasmatiques en acides gras oméga-3 (DHA) sont positivement associées à l’adhésion au régime méditerranéen et pourraient expliquer son effet protecteur (Féart et al., 2011).
L’ensemble de ces travaux souligne la nécessité de considérer les interactions entre les micro et macronutriments dans les études futures. L’impact des déterminants sociaux classiques de l’alimentation, comme les cultures régionales, la position sociale, le niveau d’éducation, sont également à prendre en compte.
Quelles sont les études récentes menées à ce sujet ?
L’analyse épidémiologique des relations entre consommation de nutriments et déclin cognitif est complexe et il est très peu probable qu’un seul composé joue un rôle majeur. Pour cette raison, les études actuelles s’intéressent de plus en plus à l’impact de mélanges nutritionnels en prévention du déclin cognitif du fait de leur capacité à cibler simultanément plusieurs mécanismes impliqués dans le vieillissement du cerveau.
Des données récentes de l’essai VITACOG ont montré une interaction entre les niveaux initiaux d’acides gras oméga-3 plasmatiques et les effets de la supplémentation en acide folique, B6 et B12. Chez les sujets ayant des taux élevés d’acides gras oméga-3 (> 590 mmol/L), le traitement par B6, B12 et folate a réduit le taux moyen d’atrophie cérébrale de 40 % par rapport au placebo. La supplémentation n’a eu aucun effet sur le taux d’atrophie chez les sujets ayant des taux en acides gras oméga-3 bas initiaux (< 390 mmol/L) (Jemerén et al., 2015) .
Des résultats similaires ont été retrouvés concernant les effets sur les performances cognitives (Oulhaj et al., 2016). Ces résultats pourraient expliquer pourquoi certaines études de prévention avec les vitamines B « seules » n’ont pas montré d’effets bénéfiques sur le cerveau.
De la même manière, des données suggèrent que le statut en homocystéine pourrait avoir un impact sur les effets des acides gras oméga-3 sur le déclin cognitif et la démence. Il a été retrouvé une corrélation inverse entre les concentrations en homocystéine et en acides gras oméga-3 plasmatiques (Huang et al., 2011).
L’ensemble de ces observations suggère qu’une supplémentation combinée en acides gras oméga-3 et en vitamines B serait une stratégie prometteuse pour prévenir le déclin cognitif avec le vieillissement. Par ailleurs, une étude transversale réalisée sur un sous échantillon de 104 sujets non déments (âge moyen 87 ans) évaluant la relation entre le statut nutritionnel, les fonctions cognitives et les données d’imagerie cérébrale, a montré une association significative entre les fonctions cognitives, les données d’imagerie et les concentrations plasmatiques élevées de vitamines B (B1, B2, B6, folate, B12), C, D, E. Une association similaire a été retrouvée avec des niveaux élevés plasmatiques d’acides gras oméga-3. Les sujets ayant des taux élevés de vitamines B, C, D et E avaient de meilleures performances cognitives en particulier en ce qui concerne les fonctions exécutives, l’attention, les fonctions visio-spatiales et le volume total cérébral. Les sujets avec les taux plasmatiques les plus élevés d’acides gras oméga-3 avaient de meilleures fonctions exécutives et moins d’hypersignaux de la substance blanche (Bowman et al., 2012).
Ces résultats sont également en faveur de l’hypothèse d’une approche nutritionnelle multi-cible. Ce type d’approche est actuellement testé dans le cadre de l’étude NOLAN réalisée auprès d’une population de personnes âgées de 70 ans et plus présentant une plainte de la mémoire subjective.
Vous avez participé récemment à l’étude MAPT (the Multidomain Alzheimer Prevention Trial) dont les résultats ont été publiés cette année. Quel était son objectif et quels sont les résultats qui en sont ressortis ?
L’essai de prévention MAPT (Andrieu et al., 2017) a été mis en place pour évaluer l’efficacité d’une supplémentation en acides gras oméga-3, d’une intervention multidomaine, ou de leur association sur l’évolution des fonctions cognitives chez des personnes âgées de 70 ans et plus, avec une plainte subjective de la mémoire, et suivies durant 3 ans. A ce jour, il s’agit du plus important essai d’intervention multidomaine mené dans le domaine de la prévention de la maladie d’Alzheimer en France : 1680 personnes âgées ont été recrutées dans 13 centres hospitaliers en France (Investigateur Principal : Pr Bruno Vellas ; CHU de Toulouse, Gérontopôle, UMR INSERM 1027), et ont été randomisées dans un des quatre groupes d’intervention (placebo seul, oméga-3 seul, placebo plus intervention multidomaine, oméga-3 plus intervention multidomaine). Les participants ont été suivis à l’inclusion, 6, 12, 24 et 36 mois pour des évaluations cognitives, fonctionnelles et biologiques. Le critère de jugement principal portait sur l’évolution des performances cognitives à 3 ans. Ces performances ont été évaluées par un score composite combinant des tests explorant la mémoire épisodique, l’orientation et les fonctions exécutives.
Description des interventions testées dans l’étude
1/ Oméga-3 : 800mg d’acide docosahexaénoïque (DHA) par jour pendant 3 ans ;
2/ Intervention multidomaine : séances de formation collectives (6 à 8 participants) à raison de 2 séances hebdomadaires d’une durée de 2 heures le premier mois, puis 1 séance hebdomadaire d’une durée de 2 heures le deuxième mois, puis 1 séance mensuelle d’une durée d’1 heure jusqu’à la fin de l’étude. Ces séances consistaient en des exercices cognitifs, de l’information pour favoriser la pratique de l’activité physique (marche : 30 minutes par jour, au moins 5 fois par semaine) et des recommandations nutritionnelles. Des consultations de prévention individuelles étaient également réalisées à l’inclusion, 12 et 24 mois.
Les résultats montrent une observance satisfaisante à la fois pour l’intervention multidomaine (71 %) et pour la prise du traitement oméga-3 ou Placebo (84 %). Par ailleurs, le déclin cognitif dans le groupe intervention multidomaine plus oméga-3 était significativement moins important que dans le groupe placébo. De plus, cet effet est encore plus marqué dans le sous-groupe pré-spécifié de sujets avec un déclin cognitif léger et à risque d’évoluer vers une maladie d’Alzheimer.
L’étude MAPT confirme l’effet d’une intervention multidomaine sur le déclin cognitif et apporte de nouvelles données pertinentes sur l’efficacité à long terme (3 ans) de l’intervention multidomaine. Par ailleurs, nous avons observé une stabilité cognitive chez les sujets qui présentaient initialement un faible taux de DHA (érythrocytaire) et qui ont bénéficié à la fois de la supplémentation en DHA et de l’intervention multidomaine, ainsi que dans le sous-groupe de sujets porteurs de l’allèle 4 de l’Apolipoprotéine E. En conclusion, l’étude MAPT montre qu’un essai de prévention à long terme est réalisable en soins primaires chez les personnes âgées. L’analyse des données de sécurité à long terme des oméga-3 dans l’étude montre une bonne sécurité d’emploi sans majoration d’un risque particulier sous oméga-3 par rapport au groupe contrôle.
Dans la continuité de l’étude MAPT, une nouvelle étude LO-MAPT va prochainement démarrer en France et en Espagne pour tester l’efficacité d’une supplémentation en acides gras oméga-3 en prévention du déclin cognitif chez des personnes âgées de 70 ans et plus, présentant des taux bas d’acides gras oméga-3 érythrocytaires et une plainte de la mémoire ou un antécédent familial de la maladie d’Alzheimer.
Quelles sont selon vous les pistes de recherche dans ce domaine ?
Il est actuellement nécessaire de poursuivre les études qui permettront d’avoir une meilleure connaissance des mécanismes biochimiques sous-jacents des processus physiopathologiques et d’identifier des agents thérapeutiques potentiels, mais également dans une perspective de santé publique, de s’intéresser aux groupes d’aliments et aux profils alimentaires.
Propos recueillis par Amine EL-ORCHE,
Consultant FOODINNOV NUTRITION
Références…
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