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Serious game : le numérique au service de l’éducation nutritionnelle ?

Le premier PNNS a fait son apparition en France il y a maintenant presque 20 ans. Son objectif premier est d’améliorer l’état de santé de la population en agissant sur l’un des déterminants majeurs : la nutrition. Pour l’atteindre, l’éducation alimentaire est un levier indispensable.

Selon le CNA1, l’éducation à l’alimentation est un processus continu, tout au long de la vie, intégrant « l’éducation nutritionnelle au même titre que l’éducation sensorielle, la connaissance et la prise en compte des préférences alimentaires individuelles et collectives ». Plus spécifiquement, l’éducation nutritionnelle est définie par le ministère de l’Education nationale comme un moyen de faire apprendre aux élèves « les règles d’un bon comportement alimentaire et leur faire connaître les effets de l’alimentation sur la santé ». A l’échelle internationale, la FAO2 considère l’éducation nutritionnelle comme l’ensemble des activités de communication qui visent à modifier des pratiques alimentaires qui ont une incidence sur l’état nutritionnel de la population, dans la perspective d’une amélioration de celui-ci. Globalement, les différents acteurs s’accordent sur le fond – l’objectif est d’améliorer la santé par le biais de la nutrition -, mais qu’en est-il de la forme ?

Si l’on considère la cible spécifique des enfants, de nombreuses méthodes ont été imaginées pour aborder le thème de la nutrition : activités manuelles pour construire une pyramide alimentaire, jeux de plateau… Mais à l’ère du tout numérique, le sujet ne pouvait échapper à des versions digitales ! Le HCSP3 a d’ailleurs évoqué cette piste dans ses dernières recommandations relatives au PNNS : le conseil recommandait une exploitation des outils digitaux en se basant sur des techniques de changement de comportement validés. A ce sujet le HCSP émet tout de même une limite, spécifiquement autour des jeux destinés aux enfants et adolescents, en évoquant la dérive potentielle des “Advergames” : des jeux vidéo publicitaires mettant en scène directement ou indirectement des produits ou services. Autre interrogation que nous pouvons formuler : quel serait l’impact des serious games sur le temps passé devant les écrans ? celui-ci étant généralement associé à des comportements alimentaires défavorables…

On le sait, l’éducation nutritionnelle est un vaste sujet et faire évoluer les comportements alimentaires est un travail ardu. « L’importance de la pédagogie n’est pas d’apporter des révélations, mais de mettre sur la voie » (P. Dehaye). Peut-être les serious games pourront-ils contribuer, à leur échelle, à mettre sur la voie d’une alimentation plus saine ?

Doriane LANGLAIS, FOODINNOV NUTRITION

1 CNA, 2019. Avis n°84 – Education à l’alimentation, Septembre 2019

2 FAO, 2020. Education alimentaire et nutritionnelle, www.fao.org

3 HCSP, 2017. Pour une Politique nationale nutrition santé en France, PNNS 2017-2021. Septembre 2020.

INTERVIEW

Serious game et éducation nutritionnelle

Qu’est-ce qu’un serious game, ou jeu sérieux en français ?

L’expression serious game est apparue aux Etats-Unis dans les années 70 pour désigner un jeu dont la vocation première n’est pas le divertissement. En théorie, cette expression désigne les jeux globalement à but éducatif, or, dans les faits, les serious games font souvent référence à des outils numériques destinés à la ludo-pédagogie. En France, le premier chercheur à avoir travaillé sur ce sujet est Julian Alvarez. Sa première définition d’un serious game était : « application informatique, dont l’objectif est de combiner à la fois des aspects sérieux (serious) tels que, de manière non exhaustive, l’enseignement, l’apprentissage, la communication, ou encore l’information, avec des ressorts ludiques issus du jeu vidéo (game). Une telle association a donc pour but de s’écarter du simple divertissement » (Alvarez, 2007). Dans cette définition, le jeu est traité séparément de l’apprentissage car on parle de combiner des éléments ludiques avec des éléments sérieux, à savoir que scientifiquement les concepts faisant référence au « jeu » et au « sérieux » font débat car dans les esprits subsiste l’idée que le jeu ne peut pas être utile voire productif. Cependant tout le monde s’accorde à dire que tous les jeux contribuent à développer des compétences comme la vision périphérique, l’équilibre, le leadership… tout jeu quel qu’il soit contribue à l’apprentissage.

Pour ma part, en utilisant le terme serious game, je parle de jeu vidéo didactique car j’intègre dans sa définition le concept d’attitude ludique de Jacques Henriot repris par Genvo. Ce dernier (2008) dit que concevoir un jeu c’est « […] communiquer par une structure l’idée de jeu à autrui afin de lui faire adopter cette attitude [ludique] ». Ce qui m’a conduit à proposer la définition suivante du serious game : application informatique que la majorité des joueurs/apprenants doit pouvoir identifier en tant que jeu vidéo mais dont l’intention première est d’enseigner des savoirs. L’expérience ludoéducative [ludodidactique] proposée par cet artefact doit résulter d’une progression issue d’un scénario ludique et d’un scénario didactique intimement liés (El Mansouri, 2019).

Quel rôle les serious games peuvent-ils jouer en éducation nutritionnelle ?

Dans le milieu de la santé, le jeu peut avoir soit une visée thérapeutique, soit une visée pédagogique. En éducation nutritionnelle, le jeu rentre dans ce deuxième objectif. L’éducation à l’alimentation fait partie du programme de l’éducation nationale du primaire jusqu’au lycée professionnel.

Le jeu est un moyen d’éduquer aux comportements favorables, de les faire intégrer et de comprendre plus aisément les notions d’équilibre alimentaire en tablant sur l’attitude ludique et sur des situations d’apprentissage basées sur le constructivisme et la situation problème dans laquelle les élèves/joueurs sont acteurs de la construction du savoir.

  • La situation problème peut être décrite comme la situation initiale auquel le joueur devra répondre par l’acquisition de connaissances dans sa progression du jeu. Pour contribuer à l’apprentissage, celle-ci doit être liée à l’objectif didactique ;
  • Le constructivisme est un concept reconnaissant « le sujet comme acteur agissant dans son apprentissage et non seulement comme sujet subissant son environnement ». Il prend également en compte l’apport de la composante sociale : l’interaction entre deux individus est susceptible de majorer l’apprentissage (Perraudeau, 2012).

L’esprit du joueur est bien plus marqué par une expérience d’apprentissage source de plaisir et d’interactions que par une expérience plus rébarbative sous forme de préconisations et de cours magistraux qui peuvent nuire à une véritable appropriation des connaissances. L’apprentissage des notions d’équilibre alimentaire ne doit pas se faire sous forme de recommandations, cela doit être discuté pour faire évoluer les représentations premières.

Des études ont-elles évalué les retombées de ces jeux en termes de connaissances théoriques et d’impact sur les comportements alimentaires ?

Mes travaux ont porté sur l’étude de jeux francophones autour de la nutrition pour lesquels, à ma connaissance, il n’y a pas ou peu d’études de leur impact sur les comportements alimentaires.

De manière générale, il est compliqué de faire changer les comportements, parmi lesquels les comportements alimentaires. Le jeu tout seul ne peut pas conduire à faire évoluer les comportements. Un accompagnement humain au jeu est indispensable (médecin, enseignant, parent…). De plus, même si les connaissances sont comprises et acquises, il s’agit de théorie, cela ne signifie pas forcément qu’il y aura un impact sur le comportement. Il ne suffit pas d’apprendre des notions, pour observer des évolutions dans le mode de vie. La modification des comportements alimentaires est bien plus complexe.

Dans quel(s) contexte(s) les serious games peuvent-ils être utilisés ?

Les serious games à destination des enfants en France sont aujourd’hui commandés principalement par des associations ou des institutions et sont financés par des subventions. Dans ce contexte, les serious games sont principalement préconisés par les entités à l’origine de leur création. Par exemple, le jeu Rififi à Daisy Town a été commandé par la Fédération des Diabétiques, il est donc présenté principalement dans le cadre de l’association à ses membres. Les serious games peuvent également être utilisés dans un cadre scolaire ou recommandés par un médecin.

Lorsqu’on veut exploiter les avantages du jeu en termes de motivation, d’engagement et de concentration, la question de l’attitude ludique se pose. Cette dernière dépend des qualités intrinsèques du jeu mais peut aussi dépendre du contexte. Prenons l’exemple du jeu vidéo didactique A table ! ayant pour objectif d’initier les enfants de 8 ans et plus à l’équilibre alimentaire en prenant en compte trois dimensions : l’énergie, l’équilibre et le plaisir. Une expérience a été menée dans trois contextes différents : en laboratoire, en classe et en atelier périscolaire. Dans ces contextes, il a été demandé aux enfants si pour eux A table ! était un exercice, un jeu ou bien les deux. Les résultats ont montré que 30 % des enfants identifiaient A table ! comme un exercice au laboratoire, 50 % en classe et aucun en atelier périscolaire. Les chiffres de la désignation du prototype comme se situant entre les deux sont quasiment identiques quel que soit le contexte. Les enfants en atelier périscolaire étaient dans un contexte de loisir, ils ne semblent pas avoir associé le jeu à un exercice alors que ceux en classe étaient les plus nombreux à indiquer que A table ! était aussi un exercice selon eux. Nous en avons déduit que le contexte d’utilisation semblait influencer la perception : plus le contexte est institutionnel, et plus l’opposition entre « jeu » et « sérieux/travail » connote la perception des utilisateurs et connote le jeu en tant qu’exercice, même si les enfants déclarent s’être amusés (El Mansouri, 2019).

Les serious games semblent souvent destinés aux enfants. Y en a-t-il certains destinés aux adultes ?

Beaucoup de ces jeux visent les enfants de primaire. Ces jeux sur la nutrition n’ont en effet pas été conçus pour une cible adulte. Il existe néanmoins de nombreux serious games pour adultes sur d’autres thématiques, pour la formation professionnelle notamment.

Les jeux vidéo didactiques doivent prendre en compte à la fois le niveau de connaissance et de compétences de la cible, mais également sa vision du ludique qui varie en fonction de nombreux critères dont l’âge. Malheureusement, dès le collège et a fortiori à l’âge adulte, il serait moins « acceptable » d’utiliser le jeu pour apprendre, le travail étant socialement rattaché à un effort et non au plaisir.

Quelles sont les problématiques liées à leur conception dans un objectif d’éducation nutritionnelle ?

Au-delà des problématiques générales liées aux serious games comme trouver la bonne situation problème permettant de répondre à l’objectif didactique tout en suscitant une attitude ludique, certaines problématiques sont propres aux jeux traitant de la nutrition. En éducation nutritionnelle, le jeu ne doit pas se présenter sous forme de préconisations mais doit faire partie d’un débat et d’une évolution des représentations premières. La nutrition repose sur des savoirs délicats à apprendre et à comprendre car elle dépend de nombreux facteurs : l’origine culturelle (choix, croyances…), la santé de la personne, le mode de vie, les contraintes financières ou encore professionnelles. Le risque dans le jeu est d’avoir recours à des raccourcis : par exemple, un personnage de jeu qui grossit juste en consommant un hamburger. Sans une part d’échanges et de compréhension, ces « clichés » peuvent porter préjudice. On en revient à l’idée que le jeu en lui-même ne suffit pas. Ceci explique l’importance de l’ingénierie didactique qui étudie l’enseignement spécifique à chaque discipline ; en effet, on n’enseigne pas les mathématiques comme on enseigne le français , et encore moins la nutrition. Pour concevoir un serious game sur l’éducation nutritionnelle, il est donc nécessaire d’avoir recours à des compétences croisées de game designer et de didacticien sur les savoirs liés à la nutrition.

Quelles sont les clés pour serious game en éducation nutritionnelle «réussi» ?

Avant d’y répondre, il faut se demander ce qu’est un serious game réussi. Pour qu’un serious game soit réussi, il faut déjà que le joueur ait eu la sensation de jouer, prendre du plaisir, s’amuser, sans que l’aspect apprentissage dans le sens négatif du terme vienne altérer l’expérience. Pour aller encore plus loin, l’idéal serait que les connaissances acquises au cours du jeu permettent une modification des habitudes alimentaires du joueur vers une alimentation plus équilibrée, un mode de vie plus sain.

Le projet de jeu doit être centré autour de l’expérience ludodidactique proposée à l’utilisateur. Le jeu doit bien cibler l’utilisateur (âge, culture…) pour s’assurer qu’il engendre une attitude ludique de la part du joueur, un engagement avec une forte concentration appelée « flow » en psychologie. Une maîtrise du game design – conception de jeu (vidéo, ici) – est nécessaire à un projet didactique bien ficelé construit sur une véritable situation problème qui repose sur le réinvestissement de savoirs et savoir-faire didactiques et qui demande au joueur de tester des stratégies par essais-erreurs.

Et contrairement à ce qu’on pourrait penser, pour faire un bon jeu il n’est pas nécessaire de tabler sur les dernières technologies (types graphismes réalistes, réalité virtuelle…) car ce qui est important reste le fond et non la forme. Un jeu qui présente une qualité scientifique sur le plan didactique et ludique n’a pas besoin de compter sur l’attrait du sensationnel pour être adopté par ses utilisateurs.

Un mot de la fin ?

Il me semble important de rappeler encore une fois que même si un jeu vidéo didactique est bien construit, il ne peut se suffire à lui-même pour permettre une bonne compréhension des savoirs, d’où l’importance de l’accompagnement. Dans certains cas on peut aussi le substituer en partie par de l’information et de l’aide dans le jeu et autour du jeu (livret d’accompagnement) mais si on souhaite un véritable engagement pour aboutir à des changements de comportements, celui-ci ne peut se faire sur le long terme sans accompagnement médical/diététique, dans le cas de la nutrition.

Propos recueillis par Doriane LANGLAIS,
FOODINNOV NUTRITION

 

Références bibliographiques :

– Alvarez J., 2007. Du jeu vidéo au serious game : approches culturelle, pragmatique et formelle, thèse, Décembre 2007.

– El Mansouri M., Biagioli N., 2016. Des jeux sérieux plus « sérieux » que ludiques ?, Colloque SEGAMED Décembre 2016.

– El Mansouri M., 2019. Le jeu vidéo didactique ou serious game : processus de conception, ingénierie didactique et game design, thèse soutenue en Décembre 2019.

– Genvo S., 2008. Caractériser l’expérience du jeu à son ère numérique : pour une étude du « play design », Colloque Le jeu vidéo : expériences et pratiques sociales multidimensionnelles, ACFAS Mai 2008.

– Perraudeau M., 2012. Les stratégies d’apprentissage, livre, Editions Armand Colin.

Vient de paraître

Nanomatériaux dans les produits destinés à l’alimentation

ANSES, Avis de l’Anses - Rapport d’expertise collective, Mai 2020, 238 pages.

Depuis la fin des années 1990, un nombre accru de nanomatériaux sont intégrés, du fait de leurs propriétés spécifiques, dans la composition de produits de la vie courante et notamment de produits alimentaires. Face à la diffusion des nanomatériaux manufacturés dans notre quotidien, de nombreux questionnements relatifs à leur identification, leurs impacts sur la santé humaine et sur l’environnement, ainsi que la manière de les réglementer, ont vu le jour. L’Anses porte une attention particulière au sujet et a publié, depuis 2006, plusieurs expertises sur les nanomatériaux. Dans cette lignée, l’Agence propose aujourd’hui un état des lieux de la présence de nanomatériaux manufacturés dans l’alimentation ainsi qu’une méthode permettant de déterminer l’approche la plus adaptée pour l’évaluation des risques sanitaires des aliments contenant de tels matériaux.

Salons & Évènements

Sandwich & Snack Show, Parizza, Japan Food Show

Initialement prévu du 20 au 22 septembre 2020, Paris (75) / Reporté du 31 mars au 1er avril 2021

www.sandwichshows.com

Natexpo

Les 21 et 22 septembre 2020, Lyon (69)

natexpo.com

58ème journées d'études de l'AFDN

Du 14 au 16 octobre 2020, Les Sables d'Olonne (85)

je.afdn.org
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