Pouvez-vous présenter le concept de la DOHaD ?
La DOHaD (« Developmental Origins of Health and Disease » ou « Origines développementales, environnementales et épigénétiques de la santé et des maladies ») est le concept mettant en lumière la programmation épigénétique précoce des individus au cours d’une fenêtre de susceptibilité allant du développement fœtal aux premiers mois de vie. Au cours de cette période, l’environnement au sens large du terme (la nutrition, le stress, l’environnement psycho-social, l’activité physique, l’exposition à des agents chimiques/pesticides/toxiques…) laisse une empreinte durable, de façon favorable ou défavorable, sur le fonctionnement des cellules et des organes, influençant ainsi la santé future de l’individu. Ce concept a été proposé par David Barker, épidémiologiste britannique, à la fin des années 80.
Depuis une trentaine d’années que le concept est défini, de nombreuses données épidémiologiques et expérimentales (117 966 publications trouvées avec les mots-clés DOHaD ou programming ou imprinting ou developmental origins of health and disease ou first 1000 days ou intergenerational impact ou life course ou preconception) se sont accumulées pour démontrer que la période des 1000 premiers jours est une période-clé pour la santé future du fœtus et du nouveau-né.
Que représentent ces 1000 jours ?
La période des 1000 jours inclut la période péri-conceptionnelle, la grossesse et les deux premières années de vie. Elle correspond à la fois à une fenêtre d’opportunité et une période de vulnérabilité. C’est une période cruciale pour le développement du bébé, c’est là que tout commence. Sa sensibilité est très grande lors de ces premiers jours et il est totalement connecté à son milieu. Ce sont dans ses 1000 premiers jours de vie qu’il crée des liens d’attachement, déterminants dans sa construction physique, psychique, affective, sociale, cognitive et pour sa vie de futur adulte.
La première étude épidémiologique rétrospective réalisée par David Barker et ses collègues, qui a conduit à la définition du concept de la DOHaD, a révélé que les évènements pendant la vie fœtale pouvaient influencer le risque de maladies méta-boliques à long terme (1 ; 2). En effet, à partir des données d’une étude de cohorte regroupant des hommes âgés de 64 ans et nés à Hertfordshire en Grande-Bretagne, il a été possible d’identifier une relation négative entre le poids de naissance et la pression sanguine systolique. Ils ont également démontré en se basant sur cette même cohorte, une corrélation inverse entre le poids de naissance et la tolérance au glucose. Ainsi les individus avec le plus faible poids de naissance étaient 6 fois plus susceptibles de développer un diabète de type II ou une intolérance au glucose que ceux ayant un poids plus élevé à la naissance (3). De la même manière, des études sur des individus conçus pendant une période de famine ont fourni des preuves directes de l’importance de la nutrition maternelle pendant la grossesse et la lactation sur la santé de la descendance à l’âge adulte. Un des exemples les plus explicites est le suivi des individus nés pendant la famine qui a sévi aux Pays-Bas de novembre 1944 à mai 1945. L’apparition brutale de cette famine a permis de caractériser rétrospectivement l’effet de l’alimentation maternelle sur le devenir des patients nés avant, pendant et après cette période. Les individus ayant été conçus pendant la famine ou qui ont été mal nourris in utero en raison de la survenue de la famine pendant la grossesse présentaient, à l’âge adulte, une incidence plus élevée de mortalité ou de morbidité cardiovasculaire et de résistance à l’insuline en comparaison des individus nés l’année précédant la survenue de la famine. L’intensité des effets observés sur la santé à long terme dépendait de la période d’exposition in utero à la malnutrition (début, milieu ou fin de gestation) (4).
Le concept ayant initialement été établi autour de cette période reconnue comme une période charnière pour le risque métabolique à long terme, a depuis été étendu à de nombreuses autres maladies (asthme, déficit cognitif, retard psychomoteur, puberté précoce…).
Comment le statut nutritionnel de la mère se répercute-t-il sur la santé de l’enfant ? L’alimentation du père peut-elle également jouer un rôle ?
L’alimentation maternelle va influencer directement la qualité des nutriments transmis à l’enfant par voie placentaire pendant la période fœtale mais également après la naissance, via la qualité du lait maternel et/ou la composition du microbiote qui s’implante dès les premiers jours de vie. L’influence de l’alimentation de la mère sur la qualité du lait est particulièrement vraie pour la fraction lipidique et notamment la teneur en oméga-3 (5 ; 6). Plus récemment, une étude chez le rat a également mis en évidence une augmentation de la teneur en certains oligosaccharides du lait des rates soumises à un régime hyperprotéique ou enrichi en fibres (7). Cet effet du régime sur la composition en Human Milk Oligosaccharides du lait maternel a été confirmé dans deux études cliniques (8 ; 9).
Au-delà de l’impact de l’alimentation de la mère qui est manifeste, l’alimentation paternelle peut aussi avoir un impact à long terme. Le mécanisme suggéré serait une transmission de l’information environnementale via l’épigénome des spermatozoïdes. Chez le rat, un régime riche en graisses chez le père entraîne une obésité et un diabète de type II chez les descendantes filles, associé à un dysfonctionnement des cellules β-pancréatiques (10). De plus, un régime pauvre en protéines chez le père serait associé à des perturbations du métabolisme lipidique chez la progéniture (11). Chez l’homme, un lien a été établi entre la famine subie par le grand-père et l’obésité et les problèmes vasculaires des petits-enfants. Cette incidence est appelée transgenerational effect (12).
Le terme « plasticité du génome » pendant les périodes de développement est parfois utilisé, de quoi s’agit-il ?
Lorsqu’on parle de « plasticité du génome », on fait référence à l’épigénétique. Ce champ de recherche désigne « l’étude des changements d’activité des gènes, n’impliquant pas de modification de la séquence d’ADN et pouvant être transmis lors des divisions cellulaires » (13). L’ensemble des marques épigénétiques d’une cellule (méthylation de l’ADN, acétylation des histones, phosphorylation de protéines…) constitue son « épigénome ». Le code épigénétique permet à certains gènes d’être plus ou moins actifs alors que d’autres restent silencieux, de manière transitoire ou permanente (14). Les mécanismes épigénétiques n’entraînent pas de modification du patrimoine génétique mais régulent les profils d’expression des gènes et, par conséquent, conditionnent le phénotype au cours de la vie. Les modifications épigénétiques constituent la mémoire des évènements vécus tout au long de la vie, à partir de la vie in utero.
Les donneurs de marques épigénétiques peuvent être trouvés dans certaines sources alimentaires, certains produits médicamenteux, être d’origine bactérienne… Du côté des sources alimentaires, on peut par exemple citer les polyphénols, les vitamines, les polyamines ou encore les folates. De son côté, le microbiote intestinal a un impact majeur sur l’épigénome de l’hôte à la fois de par sa composition, mais également de par la grande quantité de métabolites qu’il produit. Ces composés entraînent des modifications épigénétiques ou peuvent agir indirectement via l’activation ou l’inhibition de certaines enzymes (DNMTs, hTERTs…). Par exemple, le butyrate produit par les firmicutes induit une hyper-acétylation des histones par inhibition de l’enzyme désacétylase histone (HDAC) (15).
Les 1000 premiers jours sont une fenêtre d’opportunité importante. Y a-t-il une réversibilité de leur impact ?
Comme les marques épigénétiques n’entraînent pas de modification dans la séquence de l’ADN et sont, par nature, flexibles, elles sont en principe réversibles. Des études réalisées chez des modèles rongeurs d’altérations métaboliques induites pendant la gestation, ont montré que des interventions nutritionnelles précoces utilisant des macronutriments (tels que la citrulline, la taurine, les acides aminés branchés, les acides gras polyinsaturés), des micronutriments (vitamines, folates) ou encore des fibres prébiotiques, permettaient d’atténuer ou de prévenir les altérations induites (16).
Même si les marques épigénétiques sont réversibles, l’effet d’une intervention ne sera pas le même en fonction du moment de l’intervention (voir figure 1). L’effet maximal sera atteint avec une intervention précoce quand la plasticité tissulaire permet une réduction soutenue et durable des risques ultérieurs.
Figure 1 : Impact d’une intervention à différents stades de la vie sur le risque de développer une maladie non transmissible (17)
Quel est le meilleur moyen de « mettre toutes les chances du côté » de l’enfant ?
Agir tôt ! Pour rappel, la période de 0 à 2-3 ans est une période pendant laquelle le bébé quintuple son poids de naissance et double sa taille, ce qui engendre des besoins nutritionnels très différents de ceux d’un adulte. Proportionnellement, un nouveau-né mange 3 fois plus qu’un adulte et est donc 3 fois plus exposé aux résidus de contaminants présents dans l’alimentation. Sachant que cette partie de la population est particulièrement sensible aux contaminants auxquels elle est exposée. Une vigilance particulière doit donc être apportée à l’alimentation de la mère et du tout-petit. Ci-après quelques exemples de recommandations :
Avant la naissance pour la femme enceinte
. Agir sur les pratiques alimentaires et prévenir les carences nutritionnelles en fer, oméga-3 (DHA), vitamine D, iode, folates ;
. Exclure le tabac et l’alcool ;
. Réduire l’obésité, la prise de poids excessive et les grandes variations de poids.
A la naissance et pendant les 6 premiers mois de vie
. Favoriser l’allaitement maternel exclusif préconisé pendant les 6 premiers mois de vie qui est clairement démontré comme bénéfique pour la santé de l’enfant et du futur adulte, pour la relation mère-enfant et pour la mise en place de l’empreinte sensorielle (goût du lait maternel) (18) ;
. Sensibiliser la femme allaitante à la qualité et la diversité de l’alimentation ;
. Exclure le tabac et l’alcool pour la femme allaitante et limiter l’exposition au stress et aux polluants pour le nouveau-né ;
. Porter attention à la qualité de l’alimentation du nourrisson (favoriser le fait-maison, utiliser du lait de croissance s’il n’y a pas d’allaitement, consommer des fruits et légumes…) ;
. Veiller à une vitesse de croissance de l’enfant régulière et optimale.
Au moment de la diversification alimentaire (entre 4 et 6 mois)
. Maintenir l’allaitement ou a minima 500 mL de lait infantile ;
. Stimuler l’apprentissage du goût et des textures avec des expériences alimentaires pour la mise en place d’un large répertoire gustatif ;
Enfants en bas âge (jusqu’aux 3 ans)
. Limiter l’introduction des aliments destinés aux adultes (chips, plats préparés…) : l’enfant en bas âge a des besoins particuliers très différents de l’adulte ;
. Privilégier l’utilisation de lait de croissance, à défaut, privilégier le lait entier au lieu du lait demi-écrémé qui priverait l’enfant de 50 % de l’apport lipidique dont il a besoin comme élément de croissance pour son cerveau ;
. Introduire les fibres alimentaires entre 1 et 3 ans ;
. Diversifier également l’alimentation des parents, qui pourrait agir sur les préférences alimentaires de l’enfant.
La notion des 1000 premiers jours, est-elle bien connue des professionnels de santé, de la population… ?
La « Commission des 1000 premiers jours de l’enfant » lancée par le Président de la république s’est emparé de cette notion avec pour objectif de définir un consensus scientifique pour aider les familles à lever leurs incertitudes et pour garantir à chaque petit de grandir dans le meilleur environnement possible. Dans ce cadre, l’espace Agirpourbébé vient d’être mis en ligne par Santé Publique France. L’objectif de ce site est de répondre aux questions que se posent les parents avec des réponses accessibles. De façon plus générale, sans aborder cette notion des 1000 jours directement, l’Anses met l’accent sur les risques accrus pour les enfants en tant que population plus vulnérable aux agents présents dans l’environnement.
De leur côté, les acteurs de la prévention santé et des mutuelles commencent à aborder le sujet sur leurs sites internet respectifs ou via des plaquettes.
Quant à la population générale, peu de personnes sont au courant de ce sujet, et ce d’autant plus parmi les populations les plus défavorisées ou qui ont le moins accès à l’information, là où le soutien serait le plus important, notamment pour réduire les inégalités sociales de santé. L’information peut passer par :
- la mise à jour et la diffusion de guides touchant à l’alimentation, au style de vie et à l’impact de leur hygiène de vie sur leur enfant à venir, avec la nécessité d’atteindre la cible des nouveaux parents et des couples ayant un projet d’enfant ;
- la sensibilisation et la formation des professionnels de santé (gynécologues, sages-femmes, puéricultrices, pédiatres, médecins généralistes…) pour une bonne transmission de ces informations et des bonnes pratiques aux parents.
Un mot de la fin ?
Chaque individu a un facteur de risque vis-à-vis du développement de maladies non génétiques. Améliorer l’environnement auquel un individu est exposé au cours de son développement précoce peut contribuer à enrayer le cercle vicieux de la pandémie et de la propagation transgénérationnelle de nombreuses pathologies, en particulier celles liées à la nutrition, telles que l’obésité et les maladies métaboliques associées et les maladies cardiovasculaires, qui constituent les principales causes de mortalité dans le monde. La période des 1000 jours doit être considérée comme une période stratégique en termes de prévention en matière de santé publique.
Propos recueillis par Doriane LANGLAIS, FOODINNOV NUTRITION
Références bibliographiques :
(1) BARKER D., OSMOND C., 1986. Infant mortality, childhood nutrition, and ischaemic heart disease in England and Wales. The Lancet, 327(8489), 1077-1081.
(2) BARKER D., OSMOND C., GOLDING J., KUH D., WADSWORTH M.E., 1989. Growth in utero, blood pressure in childhood and adult life, and mortality from cardiovascular disease. Bmj, 298(6673), 564-567.
(3) HALES C.N., BARKER D.J., CLARK P.M., COX L.J., FALL C., OSMOND C., WINTER P.D., 1991. Fetal and infant growth and impaired glucose tolerance at age 64. Bmj, 303(6809), 1019-1022.
(4) ROSEBOOM T.J., VAN DER MEULEN J.H., RAVELLI A.C., OSMOND C., BARKER D.J., BLEKER O.P., 2001. Effects of prenatal exposure to the Dutch famine on adult disease in later life: an overview. Twin Research and Human Genetics, 4(5), 293-298.
(5) INNIS S.M., 2013. Maternal nutrition, genetics, and human milk lipids. Current Nutrition Reports, 2(3), 151-158.
(6) de QUELEN F., BOUDRY G., MOUROT J., 2010. Linseed oil in the maternal diet increases long chain-PUFA status of the foetus and the newborn during the suckling period in pigs. British Journal of Nutrition, 104, 533-543.
(7) HALLAM M.C., BARILE D., MEYRAND M., GERMAN J.B., REIMER R.A., 2014. Maternal high‐protein or high‐prebiotic‐fiber diets affect maternal milk composition and gut microbiota in rat dams and their offspring. Obesity, 22(11), 2344-2351.
(8) CHARBONNEAU M.R., O’DONNELL D., BLANTON L.V., TOTTEN S.M., DAVIS J.C., BARRATT M.J., MUEHLBAUER M.J., 2016. Sialylated milk oligosaccharides promote microbiota-dependent growth in models of infant undernutrition. Cell, 164(5), 859-871.
(9) LEWIS E.D., RICHARD C., LARSEN B.M., FIELD C.J., 2017. The importance of human milk for immunity in preterm infants. Clinics in perinatology, 44, 23-47.
(10) NG S.F., LIN R.C., LAYBUTT D.R., BARRES R., OWENS J.A., MORRIS M.J., 2010. Chronic high-fat diet in fathers programs β-cell dysfunction in female rat offspring. Nature, 467(7318), 963.
(11) CARONE B.R., FAUQUIER L., HABIB N., SHEA J.M., HART C.E., LI R., MEISSNER A., 2010. Paternally induced transgenerational environmental reprogramming of metabolic gene expression in mammals. Cell, 143(7), 1084-1096.
(12) KAATI G., BYGREN L. O., EDVINSSON S., 2002. Cardiovascular and diabetes mortality determined by nutrition during parents’ and grandparents’ slow growth period. European journal of human genetics, 10(11), 682.
(13) INSERM, 2019. www.inserm.fr Page consultée : le 10/10/2019.
(14) JUNIEN C., GALLOU-KABANI C., VIGE A., GROSS M.S., 2005. Epigénomique nutritionnelle : impact de régimes alimentaires déséquilibrés sur les processus épigénétiques de programmation au cours de la vie et transgénérationnels. Annales d’endocrinologie (Vol. 66, No. 2, pp. 19-28). Elsevier Masson.
(15) YE J., WU W., LI Y., LI L., 2017. Influences of the gut microbiota on DNA methylation and histone modification. Digestive diseases and sciences, 62(5), 1155-1164.
(16) HSU C.N., TAIN Y.L., 2019. The Good, the Bad, and the Ugly of Pregnancy Nutrients and Developmental Programming of Adult Disease. Nutrients, 11(4), 894.
(17) HANSON M.A., GLUCKMAN P.D., 2011. Developmental origins of health and disease: moving from biological concepts to interventions and policy. International Journal of Gynecology & Obstetrics, 115, S3-S5.
(18) NICKLAUS S., SCHWARTZ C., 2019. Early influencing factors on the development of sensory and food preferences. Current Opinion in Clinical Nutrition & Metabolic Care, 22(3), 230-235.