Qu’est-ce que les sports extrêmes ?
Tout d’abord, il est nécessaire de faire la différence entre les sports extrêmes et les sports en situations extrêmes. Les sports dits extrêmes se caractérisent comme étant particulièrement dangereux avec un fort engagement physique tels que le base jump, wingsuit, kite surf… Malgré leurs caractères extrêmes, ces sports ne nécessitent pas de prise en charge nutritionnelle particulière.
A contrario, les sports en situations extrêmes sont des pratiques sportives qui sont rendues difficiles, voire dangereuses, par les conditions. Ces dernières peuvent être d’ordre météorologique avec des chaleurs ou froids extrêmes, de fortes conditions d’hygrométrie, une altitude élevée, etc., mais cela peut également concerner les conditions propres à l’activité : la durée, la privation de sommeil, la gestion de l’autonomie/autosuffisance… C’est pour pallier ces différentes conditions que le suivi par l’alimentation entre en jeu.
Le sportif en situation extrême a-t-il des besoins nutritionnels spécifiques par rapport au sportif « classique » ?
La pratique d’une activité en conditions extrêmes par rapport à une activité en conditions normales, oblige d’appréhender toutes les variables pouvant nécessiter une adaptation ou une modification nutritionnelle. Ainsi, dans la majorité des cas, les conditions extrêmes entraînent un besoin énergétique supérieur à une pratique en conditions normales car l’organisme est sollicité à la fois par l’effort à produire et par la lutte contre le facteur d’agression. En général, deux points sont étudiés :
1) le coefficient multiplicateur à appliquer afin de répondre aux besoins nutritionnels accrus, liés à l’effort en lui-même. Ce coefficient correcteur correspond à la quantité de vitamine ou minéral devant être ajoutée à l’ANC par tranche de 1000 kcal dépensées au-dessus de 1800 kcal/jour chez la femme et de 2200 kcal/jour chez l’homme (Afssa, 2001). A ce jour, il n’y a aucune nouvelle recommandation officielle pour les adultes sportifs, mais il existe en revanche des recommandations pour les enfants et les adolescents.
2) les besoins spécifiques liés aux conditions. Par exemple, dans le cadre d’un Ultra 333 Himalaya (ultra-trail), les conditions de température avec de forts gradients thermiques entraînent un besoin énergétique important pour lutter notamment contre le froid. La pratique d’activité en très haute altitude nécessite également une attention particulière sur certains éléments tels que le fer. En effet, une haute altitude – du fait de la réduction de la disponibilité de l’oxygène – entraîne une hypoxie. Pour se défendre, le corps réagit en produisant plus de globules rouges nécessitant un apport supplémentaire en fer.
L’alpinisme, un sport aux conditions extrêmes (température, disponibilité de l’oxygène, durée de l’effort, contraintes logistiques…)
La nutrition peut-elle améliorer les performances ?
La performance en tant que telle est trop multifactorielle pour faire un lien de causalité directe entre résultats et nutrition. Cependant, une grande partie des abandons sur les ultra-trails ou triathlons est due à des troubles digestifs (Khodaee et al, 2014). Ou encore, selon Melin et Jimenez (2004), 30 % des coureurs présentent des signes d’hyponatrémie sur des épreuves de longues distances. Face à ces constats, il est clair que la nutrition intervient à des niveaux majeurs qui sont :
- Le paramètre de réussite sportive durant une compétition ou une épreuve en intervenant notamment sur le statut hydrique, le statut minéral, le risque d’hyponatrémie, l’apport d’énergie adapté au type d’effort, la stratégie de récupération (respect de la « fenêtre de récupération »), la prévention des troubles digestifs…
- La santé globale de l’athlète sur l’ensemble de sa carrière avec pour objectif de prévenir les carences, d’adapter la nutrition pour supporter les charges d’entraînement, de maintenir le poids de forme pendant et après la carrière sportive, d’étudier et maîtriser l’impact de l’alimentation sur les systèmes de régulation hormonal et inflammatoire. De plus, il est nécessaire de bien gérer sa santé par l’alimentation après la carrière.
Ce suivi nécessite du temps et ne peut pas se faire trois semaines avant le début de la compétition, auquel cas, l’objectif est plus de « limiter la casse » plutôt que de préparer l’évènement sportif.
Pour réellement influer sur les capacités physiques, la nutrition nécessite un suivi de trois mois minimum avant l’épreuve pour un sportif amateur, tandis que pour un sportif de haut niveau, le suivi est permanent.
Quelle alimentation conseillez-vous avant, pendant et après l’effort ?
Il est difficile de répondre à cette question de manière générale car chaque sport nécessite sa propre prise en charge nutritionnelle. Cela est dépendant du type d’effort, du temps prévisible de l’effort, des conditions de température, des habitudes du sportif, de ce qui a été testé et validé à l’entraînement et même de la stratégie sportive.
Pour la réalisation de l’Ultra-Trail du Mont-Blanc, le pré- et le post-effort sont proches de ce que l’on pourrait conseiller pour un triathlon par exemple. Cependant, la différence intervient pendant la course : le triathlon exige le maintien d’une haute intensité sur toute l’épreuve et il est donc plus difficile de consommer des produits nécessitant une mastication. Dans le cas de l’ultra-trail pour un coureur moyen (allure de 4 à 5 km/heure), l’une des options peut être de fonctionner par « bloc » d’environ 3-4 heures avec 2 heures consacrées à des produits de type sucré, avec un léger apport de solide entraînant peu de mastication (pâtes de fruits par exemple). L’heure suivante, je propose un apport plus solide tel que des barres de céréales. Enfin pour la dernière heure, pour couper la monotonie du sucré, des produits salés comme des petits sablés de type crackers sont intéressants. Ceci permet d’éviter le dégoût chez le sportif qui pourrait ne plus vouloir s’hydrater ni manger. Enfin, la consommation hydrique se fait de manière continue avec une prise régulière de boissons d’effort.
Pour ces sportifs, y-a-t-il des nutriments pour lesquels il est plus compliqué de couvrir les besoins nutritionnels ?
Il est avéré que le sport en situation extrême impacte l’organisme. En effet, pendant un effort en conditions extrêmes, il est illusoire de penser qu’il est possible de combler ou répondre à l’ensemble des pertes. De fait, un organisme même très bien entraîné finit par exprimer des limites. En général, les problèmes nutritionnels deviennent majeurs sur les épreuves ou expéditions de plusieurs semaines où une véritable carence peut apparaître. Différents nutriments peuvent être jugés à risque de carence en fonction des activités pratiquées.
Les vitamines hydrosolubles peuvent l’être pour les alpinistes ou les expéditions de traversée maritime en aviron par exemple, lorsqu’il y a une absence de fruits et légumes frais. Comme cité précédemment, l’utilisation du fer est accrue en altitude, il est donc primordial de veiller à adapter sa stratégie nutritionnelle. Il peut y avoir également un manque d’apport en protéines dans les épreuves de fort engagement physique prolongé en autonomie. L’effort physique important nécessite en lui-même une forte consommation d’antioxydants. Ce besoin peut être augmenté dans des conditions extrêmes comme lors d’une pratique en haute altitude ou en atmosphère confinée comme la spéléologie, qui entraîne une surproduction de radicaux libres.
A noter également que le couple hydratation-minéralisation est le point essentiel et transversal. En effet, une mauvaise hydratation peut être source de troubles sérieux, notamment l’hyponatrémie. Le sodium représente donc le minéral le plus important, et il est nécessaire de maintenir un juste apport de ce dernier. Dans les situations de pratique intense en ambiance chaude, la perte de potassium peut être significative mais une complémentation s’avère rarement nécessaire. La consommation de fruits secs tels que bananes et figues suffit à assurer le maintien de la kaliémie.
Enfin, la difficulté la plus retrouvée dans la plupart de ces sports est celle de couvrir les besoins énergétiques totaux. Cela est dû soit :
- à des problématiques logistiques (contrainte de poids pour emporter suffisamment de nourriture),
- à des problèmes physiologiques (manque d’appétit à cause de l’altitude, nausées, effet coupe-faim de l’effort…),
- aux besoins très conséquents liés à l’effort dans des conditions extrêmes (souvent au-dessus de 6000 kcal/jour).
Très souvent, les sportifs sont confrontés au cumul de plusieurs de ces paramètres !
Existe-t-il des ingrédients particuliers pour pallier les troubles liés à ce type d’activités sportives ?
Il n’y a pas d’ingrédient particulier identifié pour pallier les troubles physiologiques. Comme cité plus haut, il faut surtout avoir un œil attentif sur les nutriments pouvant être à risque selon les activités pratiquées.
Certains aliments consommés dans un cadre préparatoire à une compétition peuvent-ils être considérés comme dopants ?
Il n’y a pas d’aliment considéré comme dopant au sens réglementaire du terme. Un aliment, ou un nutriment, n’est pas dopant en soi mais certains aliments, de par leur composition naturelle, peuvent influencer la concentration de substances recherchées dans le cadre de la lutte anti-dopage. Le résultat en cas de contrôle est le même mais la nuance en termes d’intention de consommation est importante. Par exemple, le pavot contient des alcaloïdes, famille de molécules à laquelle appartiennent la morphine et la codéine (Thevis et al, 2003). La graine de pavot n’est pas interdite par le Code antidopage de l’AMA, mais la morphine l’est. Il y a d’ailleurs des antécédents de contrôles anti-dopage positifs qui seraient en lien avec la consommation de pavot avec comme conséquence des traces de dérivés morphiniques et codéinés dans les urines. Par principe de précaution, j’incite donc à éviter l’usage de ces graines avant une compétition.
Quelle est la pertinence des approches nutritionnelles telles que la micronutrition et autres modèles alimentaires ?
La micronutrition est une approche nutritionnelle utilisée par de nombreux sportifs ; elle se révèle le plus souvent nécessaire dans le but de maintenir un bon apport en micronutriments. Cependant, il faut bien veiller à ne pas en faire une approche de première intention. Il est primordial au premier abord d’établir un bon équilibre alimentaire. Cette micronutrition se retrouve dénuée d’intérêt si elle est pratiquée pour traiter une carence dans un cadre de mauvais équilibre alimentaire.
Il existe des méthodes ou modèles alimentaires qui reposent sur des preuves scientifiques comme cela est le cas avec le régime méditerranéen : c’est actuellement le seul modèle alimentaire dont on a prouvé l’impact positif sur la santé à long terme. Les points clés du modèle méditerranéen résident dans une bonne consommation d’acides gras essentiels, une faible consommation d’acides gras saturés, de bons apports en fibres, vitamines et minéraux grâce à la présence importante des végétaux et enfin une faible consommation de sucres ajoutés. Des ajustements sont bien sûr nécessaires dans certains contextes sportifs mais c’est un socle de référence pour tous les athlètes.
Les compléments alimentaires peuvent être intéressants dans certaines situations extrêmes, car les besoins peuvent être très importants et il est compliqué d’y répondre par l’alimentation. Ils peuvent donc être pertinents mais toujours à usage provisoire.
En tant que praticienne, avez-vous des retours sur les attentes de ces sportifs en termes de produits ?
De manière générale, le sportif préfère préparer lui-même ses boissons et si possible ses collations. De ce côté, l’offre des boissons est assez large et permet de trouver des produits de bonne qualité. En revanche, pour les solides, l’axe est aujourd’hui très porté sur le sucré. Or, durant une course, la monotonie du sucré peut être un frein à couvrir les apports nutritionnels dû à un dégoût pour cette saveur. Aujourd’hui, beaucoup de sportifs que je rencontre souhaitent avoir davantage de produits au goût salé à leur disposition. Si leur principale envie est d’avoir des recettes peu marquées, aux saveurs discrètes, les sportifs n’excluent pas pour autant des produits aux saveurs prononcées. Cependant, il est important d’éviter une utilisation trop importante d’épices afin de ne pas irriter les muqueuses digestives déjà fragilisées par l’effort.
Un autre problème majeur auquel sont confrontés les sportifs, concerne la gestion logistique des apports hydriques et alimentaires, qui peut s’avérer très fastidieuse en fonction des activités pratiquées. Ils sont demandeurs de nouveaux conditionnements pour les boissons, de petites gourdes de compote rechargeables, etc.
Un mot de la fin ?
Le point essentiel au sujet de la nutrition du sportif est de ne pas négliger l’impact et l’importance de l’alimentation quotidienne. Trop souvent la stratégie nutritionnelle des sportifs se résume au choix de la boisson d’effort, des aliments à prendre avant ou pendant une épreuve, aux bons compléments alimentaires qui vont aider la récupération, alors que l’alimentation quotidienne, qui représente au minimum 3 repas par jour durant 365 jours par an, n’est pas considérée. L’entraînement commence dans l’assiette c’est donc bien en priorité l’alimentation quotidienne qu’il faut améliorer et, ensuite seulement, optimiser l’ensemble avec le travail sur l’alimentation sportive proprement dite.
Propos recueillis par Carine DION et Giovanni DAMAS,
FOODINNOV NUTRITION
Références bibliographiques :
- Afssa, 2001. Apports nutritionnels conseillés pour la population française, 3ème édition. Coordonnateur Ambroise Martin. Editions TEC&DOC.
- Khodaee M, Spittler J, Basset P, Vanbaak K, Hill J, San Millan I, Hoffman M., 2014. Reasons for inability to complete ultramarathons: a multicenter study. Br J Sports Med. 2014 Apr;48(7):618-9.
- Melin B., Jimenez C., 2004. L’hyponatrémie hypotonique du sportif d’endurance. Cahiers de Nutrition et de Diététique, 39(4), 255-260.
- Thevis M., Opfermann G., Schänzer W., 2003. Urinary concentrations of morphine and codeine after consumption of poppy seeds. Journal of analytical toxicology, 27(1), 53-56.