Pourriez-vous nous rappeler ce que sont les FODMAPs ?
Les FODMAPs (Fermentable Oligosaccharides, Disaccharides, Monosaccharides And Polyols) sont des glucides à chaine courte peu ou pas absorbés et fermentescibles (fermentés par les bactéries du côlon). Ils sont présents dans différentes catégories d’aliments et peuvent générer des symptômes digestifs, tels que des ballonnements, des gaz et des douleurs abdominales, caractéristiques du syndrome de l’intestin irritable (SII).
Les FODMAPs sont naturellement présents dans de nombreux aliments mais leur consommation a tendance à augmenter en Occident, notamment avec l’ajout d’inuline, de fructooligosides (FOS), de sirops de glucose fructose (HFCS 55) et autres édulcorants glucidiques dans les produits industriels.
Quels sont plus précisément ces glucides et où les trouve-t-on dans notre alimentation ?
Les FODMAPs incluent (Gibson, 2005 ; Biesiekierski, 2011b) :
– Les oligosides (polymères de fructose et de galactose) :
- les fructanes (Inuline et FOS) présents dans de nombreux légumes mais également dans des céréales (notamment seigle et blé),
- les galacto-oligosides(GOS) et en particulier les alpha-galactosides (raffinose, stachyose et verbascose) présents notamment dans les légumineuses (lentilles, haricots secs, pois chiches.) et oléagineux (noix, noisettes, soja.)
–Le lactose (diose) présent dans le lait et les produits laitiers non fermentés ;
– Le fructose (ose) présent dans le miel, les fruits (dont les pommes, les poires, le raisin), le sirop de glucose-fructose (HFCS 55) mais aussi certains légumes (dont les poireaux, les asperges ou les oignons). Le fructose est moins bien toléré lorsqu’il est présent dans l’aliment en quantité supérieure au glucose ;
– Les polyols présents dans les fruits à noyau (en particulier dans certains fruits secs comme les pruneaux ou les abricots secs mais aussi dans les fruits frais tels que les prunes, les cerises ou les abricots), et en plus faible quantité dans les pommes, les poires ou les champignons. Les édulcorants (sorbitol E420, mannitol E421, maltitol E965, xylitol E967, érythritol E968, isomalt E953, lactitol E966) entrent également dans cette catégorie.
Teneur en FODMAPs de quelques aliments (g/100 g d’aliment)
Nahrungsmittelintoleranzen (Food Intolerance Diagnostics)
Muir et al. 2009 ; Muir et al. 2007
Quels sont les effets de ces composés ? Peut-on parler d’intolérance ?
Plusieurs essais cliniques croisés, randomisés ou non, en simple ou double aveugle, versus placebo (glucose) ou comparant un niveau faible et un niveau normal ou haut de FODMAPs, ont montré le rôle de ces glucides dans l’induction de symptômes, notamment l’inconfort abdominal et le ballonnement, avec un effet négatif beaucoup plus marqué en cas d’association de différents FODMAPs (Shepherd, 2008 ; Ong, 2010 ; Staudacher, 2011 ; Staudacher, 2012 ; Halmos, 2014).
L’intolérance aux FODMAPs est suspectée à l’interrogatoire du patient, en précisant la relation entre symptômes et prise du repas, et avec les différentes catégories de FODMAPs. Elle peut être diagnostiquée grâce à un test respiratoire.
Outre leur effet symptomatique, il faut noter que les FODMAPs ont de nombreux effets bénéfiques reconnus (Gibson, 2004 ; Biesiekierski, 2011b) :
- stimulation de la croissance et/ou de l’activité des bactéries coliques bénéfiques (bifidobactéries et lactobacillus),
- maintien de la muqueuse de la barrière intestinale,
- augmentation de l’absorption du calcium,
- accélération du transit,
- stimulation de l’immunité digestive,
- diminution des risques de cancer colique,
- diminution de la glycémie et de la cholestérolémie, etc.
Pourriez-vous nous indiquer les mécanismes physiologiques impliqués dans l’induction des symptômes ?
L’effet symptomatique des FODMAPs peut s’expliquer par leur malaborption et leur devenir dans le tube digestif.
La malabsorption des FODMAPS peut être due à divers mécanismes (Gibson, 2007 ; Jones, 2011 ; Tuck, 2014):
- absence d’enzymes au niveau de l’intestin grêle capables d’hydrolyser les liaisons glycosidiques des fructanes et des GOS,
- absence ou faible activité de la lactase (qui hydrolyse le lactose), au niveau de la bordure en brosse,
- faible capacité des transporteurs du fructose (GLUT 5, GLUT 2) au niveau de la bordure en brosse.
L’afflux d’eau ainsi que la production de gaz concourent à provoquer une distension intestinale responsable d’une sensation de ballonnement, de flatulences, de troubles douloureux de la motricité, surtout lorsqu’il existe une hypersensibilité viscérale – hypersensibilité de l’intestin à des stimuli mécaniques – caractéristique du SII (Barrett, 2010 ; Ong, 2010 ; Tuck, 2014).
Peut-on diagnostiquer la malabsorption des FODMAPs ?
Le diagnostic de malabsorption peut être établi par des tests respiratoires mesurant les taux d’hydrogène et de méthane dans l’air expiré lors d’une épreuve de charge à certains sucres, essentiellement le lactose et le fructose et éventuellement le sorbitol (Gibson, 2007 ; Barrett, 2012).
Il n’y a pas de réel consensus sur les modalités de réalisation et sur l’interprétation de ces tests (Gibson, 2007). Toutefois, ils permettent, en pratique courante, d’établir un diagnostic de malabsorption.
Comment peut-on prendre en charge l’intolérance aux FODMAPs ?
La prise en charge diététique de l’intolérance aux FODMAPs peut être conduite de deux manières différentes :
1) La première approche consiste à proposer un régime strict (éviction complète de tous les FODMAPs) durant 4 à 6 semaines avec le suivi par un(e) diététicien(ne) formé(e), puis en fonction des résultats des tests respiratoires (lactose, fructose +/- sorbitol), une phase de réintroduction est démarrée avec les aliments potentiellement bien absorbés (test négatif), puis la tolérance aux fructanes et GOS est testée, jusqu’au seuil maximal de tolérance du patient (Barrett, 2012 ; Gibson, 2013). Il faut noter que la suppression de tous les FODMAPS est très difficile à mettre en ouvre et l’adhésion des patients à un régime d’exclusion est difficile à obtenir sur une longue période.
2) L’autre approche développée par certaines équipes, en France notamment, est l’éviction ciblée de certains FODMAPs. Elle consiste à cibler ces glucides en fonction de l’interrogatoire alimentaire et/ou des résultats des tests respiratoires, en faisant supprimer ou diminuer les FODMAPs consommés en grande quantité ou donnant un test respiratoire positif. Là encore, le recours à un(e) diététicien(ne) connaissant le SII et les FODMAPs est particulièrement important.
Le régime appauvri en FODMAPs est-il sans conséquence ?
Non, le régime pauvre en FODMAPs n’est pas sans inconvénients. Outre le retentissement sur la vie sociale inhérent à tout régime restrictif, il est fréquemment noté chez les patients un ralentissement du transit par manque de fibres (Gibson, 2013) ; il peut provoquer des carences et des déséquilibres alimentaires (Barrett, 2012 ; Gibson, 2013) ; il entraîne des modifications quantitatives et qualitatives du microbiote avec une diminution du contenu global en bactéries, une augmentation de la diversité des bactéries ou une diminution des bifidobactéries (Staudacher, 2012 ; Halmos, 2015).
Les effets à long terme de ce régime ne sont pas connus. Aussi, les patients doivent-ils toujours être encouragés à essayer de réintroduire les FODMAPs dans leur alimentation à un niveau qu’ils tolèrent bien sur le plan symptomatique.
Ce type de régime pourrait-il aider à la gestion des symptômes du syndrome de l’intestin irritable ?
Le régime pauvre en FODMAPs s’avère efficace chez 68 à 76% des patients avec SII (Shepherd, 2006 ; Staudacher, 2011 ; Staudacher, 2012 ; de Roest, 2013 ; Halmos, 2014). Un résultat positif au test respiratoire au fructose a une bonne valeur prédictive pour l’efficacité du régime (Shepherd, 2014).
L’autre élément important dans l’efficacité du régime est bien sûr l’observance du patient (Gibson, 2011) or il s’agit d’un régime difficile à respecter car excluant de nombreux aliments.
Récemment, une méta-analyse a confirmé qu’un régime pauvre en FODMAPs est efficace pour réduire les symptômes gastro-intestinaux de type SII chez des patients atteints de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) (maladie de Crohn et recto-colite hémorragique, en particulier) (Zhan, 2018).
Propos recueillis par Amine EL-ORCHE
Références bibliographiques :
- Barrett, J. S., Gearry, R. B., Muir, J. G., Irving, P. M., Rose, R., Rosella, O., … & Gibson, P. R. (2010). Dietary poorly absorbed, short-chain carbohydrates increase delivery of water and fermentable substrates to the proximal colon. Alimentary pharmacology & therapeutics, 31(8), 874-882.
- Barrett, J. S., & Gibson, P. R. (2012). Fermentable oligosaccharides, disaccharides, monosaccharides and polyols (FODMAPs) and nonallergic food intolerance: FODMAPs or food chemicals?. Therapeutic advances in gastroenterology, 5(4), 261-268.
- Biesiekierski, J. R., Rosella, O., Rose, R., Liels, K., Barrett, J. S., Shepherd, S. J., … & Muir, J. G. (2011). Quantification of fructans, galacto-oligosacharides and other short-chain carbohydrates in processed grains and cereals. Journal of Human Nutrition and Dietetics, 24(2), 154-176.
- De Roest, R. D., Dobbs, B. R., Chapman, B. A., Batman, B., O’brien, L. A., Leeper, J. A., … & Gearry, R. B. (2013). The low FODMAP diet improves gastrointestinal symptoms in patients with irritable bowel syndrome: a prospective study. International journal of clinical practice, 67(9), 895-903.
- Gibson, G. R., Probert, H. M., Van Loo, J., Rastall, R. A., & Roberfroid, M. B. (2004). Dietary modulation of the human colonic microbiota: updating the concept of prebiotics. Nutrition research reviews, 17(2), 259-275.
- Gibson, P. R., & Shepherd, S. J. (2005). Personal view: food for thought-western lifestyle and susceptibility to Crohn’s disease. The FODMAP hypothesis. Alimentary pharmacology & therapeutics, 21(12), 1399-1409.
- Gibson, P. R., Newnham, E., Barrett, J. S., Shepherd, S. J., & Muir, J. G. (2007). Fructose malabsorption and the bigger picture. Alimentary pharmacology & therapeutics, 25(4), 349-363.
- Gibson, P. R. (2011). Food intolerance in functional bowel disorders. Journal of gastroenterology and hepatology, 26(s3), 128-131.
- Gibson, P. R., Barrett, J. S., & Muir, J. G. (2013). Functional bowel symptoms and diet. Internal medicine journal, 43(10), 1067-1074.
- Halmos, E. P., Power, V. A., Shepherd, S. J., Gibson, P. R., & Muir, J. G. (2014). A diet low in FODMAPs reduces symptoms of irritable bowel syndrome. Gastroenterology, 146(1), 67-75.
- Halmos, E. P., Christophersen, C. T., Bird, A. R., Shepherd, S. J., Gibson, P. R., & Muir, J. G. (2015). Diets that differ in their FODMAP content alter the colonic luminal microenvironment. Gut 64(1), 93-100.
- Jones, H. F., Butler, R. N., & Brooks, D. A. (2010). Intestinal fructose transport and malabsorption in humans. American Journal of Physiology-Gastrointestinal and Liver Physiology, 300(2), G202-G206.
- Muir, J. G., Shepherd, S. J., Rosella, O., Rose, R., Barrett, J. S., & Gibson, P. R. (2007). Fructan and free fructose content of common Australian vegetables and fruit. Journal of agricultural and food chemistry, 55(16), 6619-6627.
- Muir, J. G., Rose, R., Rosella, O., Liels, K., Barrett, J. S., Shepherd, S. J., & Gibson, P. R. (2009). Measurement of short-chain carbohydrates in common Australian vegetables and fruits by high-performance liquid chromatography (HPLC). Journal of agricultural and food chemistry, 57(2), 554-565.
- Ong, D. K., Mitchell, S. B., Barrett, J. S., Shepherd, S. J., Irving, P. M., Biesiekierski, J. R., … & Muir, J. G. (2010). Manipulation of dietary short chain carbohydrates alters the pattern of gas production and genesis of symptoms in irritable bowel syndrome. Journal of gastroenterology and hepatology, 25(8), 1366-1373.
- Shepherd, S. J., & Gibson, P. R. (2006). Fructose malabsorption and symptoms of irritable bowel syndrome: guidelines for effective dietary management. Journal of the American Dietetic Association, 106(10), 1631-1639.
- Shepherd, S. J., Parker, F. C., Muir, J. G., & Gibson, P. R. (2008). Dietary triggers of abdominal symptoms in patients with irritable bowel syndrome: randomized placebo-controlled evidence. Clinical Gastroenterology and Hepatology, 6(7), 765-771.
- Shepherd, S. J., Halmos, E., & Glance, S. (2014). The role of FODMAPs in irritable bowel syndrome. Current Opinion in Clinical Nutrition & Metabolic Care, 17(6), 605-609.
- Staudacher, H. M., Whelan, K., Irving, P. M., & Lomer, M. C. (2011). Comparison of symptom response following advice for a diet low in fermentable carbohydrates (FODMAPs) versus standard dietary advice in patients with irritable bowel syndrome. Journal of Human Nutrition and Dietetics, 24(5), 487-495.
- Staudacher, H. M., Lomer, M. C., Anderson, J. L., Barrett, J. S., Muir, J. G., Irving, P. M., & Whelan, K. (2012). Fermentable Carbohydrate Restriction Reduces Luminal Bifidobacteria and Gastrointestinal Symptoms in Patients with Irritable Bowel Syndrome-4. The Journal of nutrition, 142(8), 1510-1518.
- Tuck, C. J., Muir, J. G., Barrett, J. S., & Gibson, P. R. (2014). Fermentable oligosaccharides, disaccharides, monosaccharides and polyols: role in irritable bowel syndrome. Expert review of gastroenterology & hepatology, 8(7), 819-834.
- Zhan, Y. A., & Dai, S. X. (2018). Is a low FODMAP diet beneficial for patients with inflammatory bowel disease? A meta-analysis and systematic review. Clinical Nutrition, 37(1), 123-129.