Pouvez-vous nous rappeler en quelques mots ce qu’est l’ostéoporose ?
L’ostéoporose est une pathologie chronique dégénérative qui se traduit d’une part par une diminution de la masse osseuse, avec une raréfaction minérale (calcium), évaluée par la mesure de masse osseuse et d’autre part des perturbations de l’agencement, de l’architecture de l’os avec l’âge qui contribuent à sa fragilité, l’ensemble menant à une augmentation du risque de fracture.
La structure de l’os est schématiquement celle d’une « éponge », qui se retrouve sous deux états :
- la forme relâchée ou spongieuse, qui correspond à l’os métabolique (os de la colonne, os courts et/ou plats, tête des os longs) où il existe une importante surface d’échange avec les vaisseaux sanguins, la moelle osseuse…
- la forme compactée ou condensée, qui correspond aux os longs et aux tubes des os longs.
Dans l’ostéoporose, les os métaboliques sont les premiers touchés : la colonne vertébrale en premier lieu, avec les tassements et les risques de fractures ; puis le poignet, en cas de chute, ou encore le col du fémur. D’ailleurs, l’ostéoporose est une pathologie qui peut être silencieuse jusqu’à la survenue d’une fracture : si on entend souvent que la chute d’une personne âgée a provoqué une fracture, par exemple du col du fémur, en réalité c’est souvent la fracture qui provoque la chute !
Qui cette maladie touche-t-elle particulièrement ?
L’ostéoporose est une maladie principalement liée au vieillissement qui touche essentiellement les femmes. En effet, la ménopause initie le processus de perte osseuse car les œstrogènes, qui jouent un rôle essentiel dans le « freinage » de la résorption osseuse, diminuent à cette période de façon drastique ; on observe alors un emballement de la résorption osseuse. La notion d’imprégnation hormonale est importante : une puberté tardive et/ou une ménopause précoce sont des facteurs de risque d’ostéoporose.
Les hommes sont également sujets à l’ostéoporose mais plus tardivement car l’andropause est un phénomène qui s’installe plus progressivement que la ménopause. D’autre part, le rôle de la testostérone est important mais moindre par rapport à celui des œstrogènes, qui sont également présents en petite quantité chez le sujet masculin. Cela a été démontré par exemple chez des patients hommes dont une mutation du gène codant pour l’aromatase (une enzyme qui permet de produire des œstrogènes à partir de testostérone) menait à une diminution de la teneur en œstrogènes et au développement d’une ostéoporose.
Pour donner quelques chiffres, à 50 ans une femme a un risque de fracture dans les années suivantes de 40 % contre 14 % chez l’homme.
En quoi peut-on dire que l’ostéoporose peut être prévenue tout au long de la vie ?
Quand on consulte une courbe de masse osseuse en fonction de l’âge (voir ci-contre), on identifie 3 phases :
- Une phase de croissance, de constitution du capital osseux, jusqu’à l’âge de 30 ans ;
- Une phase de stabilité entre 30 et 50 ans où la densité osseuse est maximale, une stabilité subordonnée à une bonne hygiène de vie et une absence de maladie qui pourrait impacter le tissu osseux ;
- Une phase de diminution après 50 ans.
Si la période de croissance osseuse est majoritairement dépendante de l’hérédité, il faut constater que l’alimentation a un rôle à jouer, en particulier dans la constitution du squelette. En effet, la non-consommation de produits laitiers lors de l’enfance est un prédicteur de fractures à l’instant T mais également lors du vieillissement. Après 50 ans, c’est surtout la composante comportementale (hygiène de vie : alimentation et activité physique) qui va influer sur le capital osseux.
Quelles sont les principales stratégies de prévention de l’ostéoporose ?
En termes d’approche médicamenteuse, le traitement hormonal substitutif de la ménopause n’est plus prescrit en première intention à cause des effets secondaires associés et de la diminution consécutive du ratio bénéfice/risque. Lorsqu’il est prescrit, c’est souvent sur des périodes plus courtes (5 ans au lieu de 10-15 ans auparavant). Il faut également noter que les bénéfices sont limités au temps du traitement et ne perdurent pas.
D’autre part, les SERM (“Specific Estrogen-Receptor Modulators” ou modulateurs des récepteurs aux œstrogènes), appelés également « anti-œstrogènes », comme le clomifène ou le tamoxifène, sont des molécules encore très peu prescrites car leur efficacité est moindre par rapport aux œstrogènes et elles ne soulagent pas, voire exacerbent, les bouffées de chaleur. Les SERM se fixent aux récepteurs aux œstrogènes avec les effets bénéfiques des œstrogènes sans les effets négatifs sur les cellules mammaires. Les SERM permettent donc de lutter contre l’ostéoporose sans favoriser le cancer du sein.
Au-delà de ces interventions médicamenteuses, l’hygiène de vie, c’est-à-dire la combinaison d’une alimentation équilibrée et d’une activité physique modérée, est la principale stratégie de prévention.
La supplémentation en calcium et vitamine D est-elle efficace pour ralentir l’apparition de l’ostéoporose ? Si oui, y a-t-il une différence selon la source d’apport ?
Le couple calcium-vitamine D est un incontournable de la prévention et même du traitement de l’ostéoporose, dans le cadre d’une prise en charge médicamenteuse. En effet, avant tout traitement, il convient de s’assurer que les apports sont corrects et de prescrire une supplémentation le cas échéant.
Je résume la prévention nutritionnelle en trois points :
- Fournir au squelette suffisamment d’ « éléments bâtisseurs », c’est-à-dire principalement pour élaborer la trame de protéines (collagène), qui doit se minéraliser (phosphate de calcium). En l’occurrence, si les apports en phosphates sont suffisants, les apports en calcium sont souvent moins satisfaisants. Deux problèmes coexistent : d’une part, l’agriculture a fait une sélection sur des bases énergétiques, ce qui associé au raffinage des aliments entraîne souvent un appauvrissement en minéraux des aliments natifs ; d’autre part, notre physiologie héritée des hommes préhistoriques (qui consommaient environ 3 g de calcium par jour, contre 800 à 900 mg par jour aujourd’hui) n’est plus adaptée : l’absorption intestinale passive étant quasi inopérante, c’est la présence de vitamine D qui permet la formation d’un transporteur qui entraîne le calcium à travers la barrière intestinale.
- Notre alimentation peut fournir des aliments sources de nutriments protecteurs comme certains acides gras, des polyphénols, des vitamines. On a mis en évidence un rôle important des glucides complexes : en effet, leur fermentation dans les voies basses du tube digestif donne une « 2e chance » au calcium d’être absorbé grâce à la diminution du pH et l’augmentation de la perméabilité intestinale, comme cela a été montré chez l’adolescent (Source 1.).
- Ne pas se positionner dans des habitudes délétères comme consommer trop salé, adopter un régime acidifiant (trop riche en produits animaux et/ou hyperprotéinés) et pauvre en calcium. Pour ce qui est de manger trop salé, il faut savoir que l’élimination du sodium entraîne au niveau rénal une élimination calcique associée ; de plus, une alimentation salée est acidifiante. Le fait d’opter pour un régime acidifiant fragilise les os puisque si le calcium n’est pas fourni dans l’alimentation, cela oblige l’organisme à aller chercher des minéraux « basifiants », dont le calcium, là où ils se trouvent, en l’occurrence dans les os.
Dans certains cas, la supplémentation en calcium et vitamine D s’avère nécessaire, chez les personnes qui ne consomment pas de produits laitiers en particulier (pour des raisons d’allergies ou autres). Mais de manière générale, il est important que toute la pyramide alimentaire soit représentée dans l’alimentation et que celle-ci soit équilibrée. En effet, il y a un réel intérêt de l’effet matrice et de la synergie des nutriments, par exemple avec les fibres ou les polyphénols comme indiqué précédemment.
Les produits laitiers sont la source de référence pour le calcium, mais pas la source unique. Ils représentent en moyenne 70 % des apports calciques dans un régime équilibré. L’absorption est moindre pour le calcium d’origine végétale, car il forme des complexes avec des anti-nutriments comme les phytates et les oxalates, sauf pour le chou chinois qui est très riche en calcium bien absorbé. Enfin, les apports issus des eaux minérales ont une bonne biodisponibilité, sauf dans le cas des eaux riches en sulfates qui acidifient le pH sanguin et augmentent la perte urinaire. Les sources végétales et hydriques représentent respectivement 15 % des apports alimentaires en calcium.
Des travaux ont mis en évidence le rôle de certains acides gras dans la protection des os, pouvez-vous nous en dire plus ?
Les œstrogènes sont anti-inflammatoires. On a démontré notamment sur le modèle rongeur qu’à la ménopause ou en cas d’ovariectomie il se crée une inflammation de bas grade. Expérimentalement, quand en même temps que la castration on ajoute des anticorps contre des cytokines, on empêche le processus d’ostéopénie ce qui révèle bien le processus inflammatoire impliqué (Source 2.). Par conséquent, le fait de consommer des acides gras oméga 3 anti-inflammatoires permet de limiter l’inflammation et de retarder l’ostéoporose. D’ailleurs, le fait de rétablir un ratio oméga 6/oméga 3 plus favorable permet de rétablir partiellement la masse osseuse (Source 3.).
Un autre mécanisme impliqué est celui de la différenciation cellulaire. Dans nos stocks de cellules-souches, les ostéoblastes (cellules qui forment l’os) ont les mêmes précurseurs que les adipocytes : selon le contexte (nutritionnel…), elles peuvent se développer vers des cellules osseuses ou des cellules adipocytaires. Avec l’âge, la moelle osseuse s’enrichit d’ailleurs en adipocytes et devient plus jaune.
Quels sont les autres nutriments ou substances qui vous semblent prometteurs ?
L’oleuropéine est un micronutriment spécifique de l’olivier. Une étude clinique a montré de bons résultats chez les femmes ménopausées traitées pendant un an soit avec du calcium seul, soit avec une combinaison oleuropéine + calcium. Au bout d’un an, on a observé une différence significative de masse osseuse chez les femmes qui recevaient uniquement du calcium (perte de masse osseuse), tandis qu’il n’y avait pas de changement significatif chez les femmes traitées avec oleuropéine + calcium.
Pour la fisétine (présente dans la fraise), il n’a pas été fait d’étude clinique mais les voies de signalisation sont maintenant bien connues. Le rôle bénéfique de la quercétine a aussi été évoqué : elle a l’intérêt d’être plus ubiquitaire dans le règne végétal.
Il s’agit de molécules sur lesquelles des brevets ont été déposés mais il faut à mon sens privilégier une alimentation équilibrée et diversifiée : ces molécules supposent une approche plus proche du complément alimentaire voire du médicament qu’alimentaire, dans les conditions de consommation chez les populations occidentales. Ces recherches démontrent en revanche l’intérêt d’un régime riche et varié en fruits et légumes pour bénéficier de leurs atouts, qui sont complémentaires.
L’ostéoporose est un phénomène qui touche particulièrement les femmes ; les stratégies d’intervention nutritionnelle sont-elles différentes entre hommes et femmes ?
Il y a eu un engouement à une période pour les phyto-œstrogènes, mais les études effectuées à ce sujet n’ont pas montré d’effet sur la masse osseuse. Ces phyto-œstrogènes étaient évidemment plutôt destinés aux femmes, il faut évidemment être particulièrement attentif à la cible lorsque l’on a l’intention d’impacter les hormones.
Les femmes sont souvent plus ciblées par les campagnes concernant l’ostéoporose car, comme on l’a dit précédemment, elles sont plus touchées plus tôt. Les problèmes liés à la colonne vertébrale, par exemple, touchent essentiellement les sujets féminins. Il existe également quelques différences de consommation de produits laitiers entre les femmes et les hommes, les premières ayant tendance à consommer moins de fromage mais plus de lait et de yaourts/fromages blancs que les seconds. Les recommandations sont toutefois les mêmes pour les deux sexes : manger équilibré et diversifié.
Quelle est la place de l’activité physique dans la prévention de l’ostéoporose ?
Toute situation d’immobilisation (comme le fait d’être plâtré) va entraîner une perte osseuse et musculaire. C’est le cas également des astronautes qui, dans l’espace, connaissent une perte osseuse liée à l’absence de contrainte mécanique.
Au quotidien, tout est question d’équilibre selon la théorie du mécanostat de Frost : en-dessous d’un certain niveau d’activité, il y a une perte osseuse liée au manque de stimulation de l’os, à l’inverse trop de stimulation peut être délétère : c’est l’exemple des fractures de fatigue des grands sportifs.
La sédentarité est effectivement reconnue comme un facteur de risque dans la survenue de l’ostéoporose. Pour contrer cela, il faut privilégier les exercices à impact comme la marche, la course (qui permettent en plus une exposition au soleil, pour synthétiser de la vitamine D) ou la danse, ainsi que le travail de résistance (musculation). Cette activité sera profitable à toute période de la vie : pour la formation osseuse et pour le maintien du capital osseux, en y allant progressivement pour commencer.
Quels sont les liens entre la fonte musculaire (sarcopénie) et l’ostéoporose ?
Ces deux phénomènes sont très liés : on parle d’ailleurs de plus en plus d’« ostéosarcopénie » pour les désigner. Comme on peut le voir sur les graphiques ci-dessous, l’évolution de la masse osseuse est tout à fait superposable avec celle de la masse musculaire. Au niveau thérapeutique, les deux aspects sont ciblés en même temps car, si on ne sait pas à l’heure actuelle lequel entraîne l’autre, il est démontré qu’ils sont mutuellement facteurs de risques.
Quelles sont actuellement les pistes de travail de l’UNH (Unité de Nutrition Humaine de l’INRA) concernant l’ostéoporose ?
L’unité travaille actuellement plus la fonctionnalité, la mobilité qui intègre à la fois muscle et os. Nous privilégions des objectifs plus globaux pour une prise en compte de la complexité que ce soit au niveau de l’organisme ou de l’intervention nutritionnelle, car les outils dont on dispose aujourd’hui permettent une meilleure prise en compte de la complexité du vivant.
Quelques mots de conclusion ?
Chacun est acteur de sa santé, y compris de sa santé osseuse, et il faut s’en soucier à tout âge. Il faut rappeler que les carences nutritionnelles sont surtout situées aux âges extrêmes de la vie (adolescents, seniors) et qu’elles peuvent avoir un impact tout au long de la vie. Je souhaite mettre l’accent sur le fait qu’aucune famille d’aliments ne devrait être écartée de l’alimentation, en particulier celle des produits laitiers qui sont souvent décriés, dans un contexte alimentaire qui intègre également des fruits et légumes variés et des eaux minérales de qualité. C’est l’intégralité de la pyramide alimentaire qui a un rôle à jouer.
Propos recueillis par Clarisse LEMAITRE,
Consultante FOODINNOV NUTRITION
Pour aller plus loin :
Vivons plus vieux en bonne santé ! Des conseils au quotidien pour préserver son capital santé. Coordonné par Véronique Coxam et Sophie Cousin, préface de Dr Jean-Michel Lecerf. Editions Quae – 192 pages, janvier 2017 – 17 €.
Références bibliographiques :
1. Martin BR, Braun MM, Wigertz K, Bryant R, Zhao Y, Lee W, Kempa-Steczko A, Weaver CM. Fructo-oligosaccharides and calcium absorption and retention in adolescent girls. J Am Coll Nutr. 2010 Aug;29(4):382-6.
2. Miyaura C, Kusano K, Masuzawa T, Chaki O, Onoe Y, Aoyagi M, Sasaki T, Tamura T, Koishihara Y, Ohsugi Y, et al. Endogenous bone-resorbing factors in estrogen deficiency: cooperative effects of IL-1 and IL-6. J Bone Miner Res. 1995 Sep;10(9):1365-73.
3. Kruger MC, Coetzer H, de Winter R, Gericke G, van Papendorp DH. Calcium, gamma-linolenic acid and eicosapentaenoic acid supplementation in senile osteoporosis. Aging (Milano). 1998 Oct;10(5):385-94.
4. Baumgartner RN, Koehler KM, Gallagher D, Romero L, Heymsfield SB, Ross RR, Garry PJ, Lindeman RD. Epidemiology of sarcopenia among the elderly in New Mexico. Am J Epidemiol. 1998 Apr 15;147(8):755-63. Erratum in: Am J Epidemiol 1999 Jun 15;149(12):1161.
5. Luna-Heredia E, Martín-Peña G, Ruiz-Galiana J. Handgrip dynamometry in healthy adults. Clin Nutr. 2005 Apr;24(2):250-8.