Qu’est-ce que le numérique ?
Le mot « numérique » est un adjectif pour décrire « des systèmes, dispositifs ou procédés employant ce mode de représentation discrète (nombres) par opposition à analogique » (Larousse, 2017). Cette notion prend une place de plus en plus importante dans la société actuelle, si bien que le terme « numérique » n’est aujourd’hui plus seulement utilisé comme un adjectif mais aussi comme un nom : le numérique. Face à l’ampleur du phénomène, on parle même de révolution numérique. La révolution numérique correspond au bouleversement profond des sociétés survenu globalement dans les nations industrialisées et provoqué par l’essor des techniques numériques, principalement l’informatique et Internet. Cette mutation se traduit par une mise en réseau planétaire des individus, de nouvelles formes de communication et une décentralisation dans la circulation des idées (Sorbier, 2006).
Quel est le lien entre numérique et nutrition ?
Le numérique, de par son omniprésence dans la vie quotidienne actuelle, ne pouvait pas ne pas prendre part à un sujet central dans la vie de l’Homme : sa santé, notamment via son alimentation. Lorsque la technologie numérique se met au service de la nutrition, elle peut contribuer à influencer les comportements alimentaires et le niveau d’activité physique des individus.
Quelle(s) forme(s) le numérique prend-il lorsqu’il est au service de la nutrition ?
Il peut prendre une multitude de formes lorsqu’il s’applique à la nutrition. Tout d’abord, il peut prendre l’apparence d’applications :
celles visant une perte de poids ;
celles destinées à optimiser l’équilibre alimentaire ;
celles liées à des pathologies en lien avec l’alimentation (diabète, allergies.) ;
celles destinées à mieux connaître les aliments (exemple de Yuka (voir encadré)) ;
celles sportives avec un volet nutritionnel ;
celles ludiques pour l’éducation nutritionnelle (serious games).
Certaines applications regroupent plusieurs de ces fonctionnalités à la fois.
Au-delà des applications seules, certaines interagissent avec un objet dit « connecté » : objet électronique connecté sans fil, partageant des informations avec une plate-forme accessible via un ordinateur, une tablette ou un smartphone… et capable de percevoir, d’analyser et d’interagir selon les contextes et notre environnement.
Les objets connectés interviennent sur des axes principaux comme la prise alimentaire, en indiquant la composition nutritionnelle des aliments, en mesurant la vitesse de mastication ou encore en proposant des plans nutritionnels ; le contrôle du poids avec la balance connectée ; et l’activité physique grâce aux populaires traqueurs d’activité (majoritairement sous la forme de bracelet).
Tout comme certaines applications, différents objets connectés ont été conçus pour répondre aux contraintes nutritionnelles liées à des régimes alimentaires ou pathologies spécifiques : par exemple, un bracelet pour mesurer en permanence la glycémie des personnes diabétiques, des boitiers portatifs pour détecter la présence d’allergènes en quelques minutes – voire secondes ! – ou encore un verre connecté pour mesurer l’hydratation chez les seniors.
Le développement des applications et objets connectés au service de la nutrition, et de la santé plus généralement, est tel que la Haute Autorité de Santé (HAS) a publié un référentiel de bonnes pratiques pour encadrer le développement de ces produits.
En quoi ces outils, peuvent-ils aider à la gestion du poids ?
La caractéristique principale des objets connectés est de faire un suivi par la mesure régulière et la visualisation d’une évolution de données relatives à notre santé, notamment via les smartphones et applications associées : c’est le quantified self. Cette « mesure de soi » permet à l’utilisateur de mieux se connaître et ainsi d’avoir une sensation de maîtrise de lui-même, tout en s’affranchissant du regard « juge » (médecin, coach sportif.). Ces outils peuvent même instaurer une sorte de challenge personnel. Quelques utilisateurs deviennent même dépendants de leur « score » en essayant de faire toujours mieux (plus de pas par jour, moins de kilos sur la balance…). |
|
Le concept de quantified self comprend également la notion de partage, en publiant par exemple ses résultats sur les réseaux sociaux ou au sein de la communauté d’utilisateurs. Cette notion de communauté est d’ailleurs l’une des clés de la motivation de certains utilisateurs permettant d’interagir et donc de se motiver mutuellement, voire de se comparer.
Donc avec tous ces outils, plus besoin de diététicien-nutritionniste, de coach sportif ou plus généralement de conseils médicaux liés à l’alimentation ?
Ces outils peuvent accompagner les utilisateurs au quotidien, mais en aucun cas ils ne remplacent les professionnels. Car malgré les conseils qui peuvent être fournis par le biais numérique, le suivi par un professionnel reste primordial. Ces outils sont en effet standardisés et ne prennent pas en compte les spécificités de l’individu, même s’ils tendent à être de plus en plus personnalisés.
Pour toute personne s’intéressant à la nutrition, il est possible de trouver une multitude d’informations sur internet, surtout lorsque l’on sait que les deux-tiers de la population mondiale sont connectés grâce à internet ou un smartphone. Il y a cependant un revers à cet accès rapide à l’information, celui de transmettre de fausses informations (fake news) et de les conserver. Il a été montré que sur Twitter, une fake news se propage 6 fois plus vite qu’une information vérifiée et juste (Vosoughi et al, 2018). De plus, il est extrêmement difficile de retirer une information après qu’elle ait été publiée. Par exemple, dans les années 70, l’hôpital de Villejuif aurait publié un tract listant les additifs qui seraient cancérigènes, notamment le E330 (acide citrique). Cette information était fausse, et pourtant elle a depuis été publiée sur internet. Aujourd’hui, bien que cette histoire date de plusieurs décennies et que l’hôpital de Villejuif ait démenti cette information, cette fake news est parfois de nouveau évoquée et diffusée, entre autres, sur les réseaux sociaux.
Fake news et vraies informations se côtoient ainsi sur internet. Avec la diffusion accélérée et amplifiée des données, le phénomène d’ « infobésité » est observé : il désigne l’excès d’informations reçues par une personne, qu’elle ne peut traiter ou supporter sans porter préjudice à elle-même ou à son activité. Cette ultra-disponibilité de l’information provoque une cacophonie alimentaire dans laquelle le consommateur se perd. Au milieu de cette surcharge informationnelle, le professionnel reste la personne la plus à même de faire le tri, de renseigner correctement et surtout en fonction des spécificités et des antécédents du patient.
De leur côté, comment les professionnels de l’agroalimentaire et de la santé s’approprient-ils le numérique ?
Pour les entreprises agroalimentaires, l’utilisation du numérique et des réseaux sociaux est presque devenue indispensable (particulièrement en B to C) : ceux-ci permettent de communiquer directement avec le consommateur, de fidéliser le client, de diffuser les actualités de la marque, de valoriser son image. Quelques entreprises ont même créé leur propre application. Ces outils leur confèrent une proximité quotidienne avec leurs clients.
Les distributeurs également veulent contribuer au « mieux manger », et pour ça, développent des applications pour aider les consommateurs à faire des choix plus sains – ou du moins, plus éclairés – lors de leurs courses (par exemple, Yaquoidedans de Système U).
Les instances de santé publique aussi ont recours au numérique. Bien sûr les sites internet d’autorités telles que le ministère de la Santé, Santé Publique France, la HAS. existent, mais au-delà de cette « base indispensable », ces organisations animent aussi des pages sur les réseaux sociaux avec pour objectifs principaux de communiquer avec la population et faire passer des messages de santé en s’adaptant aux interlocuteurs.
Afin de tirer parti de ces nouveaux outils en termes de santé, des projets sont en cours pour étudier comment le numérique pourrait contribuer à la prévention nutritionnelle (voir encadré Projets).
Tous ces outils – bien que destinés initialement à accompagner le consommateur vers un mode de vie plus sain, et plus spécifiquement vers une alimentation saine – pourraient-ils avoir un impact négatif ?
Comme évoqué précédemment, la surcharge informationnelle peut avoir ses revers. Car bien que la disponibilité des informations permette d’avoir des clés pour « mieux manger » , ces informations consultées en excès peuvent conduire à des troubles du comportement alimentaire tels que l’orthorexie (pathologie qui se caractérise par une obsession ou une fixation autour de la nourriture dite « saine » (Bratman, 2001)). Les troubles du comportement alimentaire peuvent aussi être accentués par les conseils et images diffusés sur les réseaux sociaux. Certains utilisateurs s’identifient aux influenceurs aux corps « parfaits » – parfois retouchés grâce au numérique. -, ce qui peut conduire à l’émergence ou l’accentuation de complexes.
Au-delà des contenus, c’est la forme que prend le numérique qui peut nuire à la santé, notamment en favorisant une prise de poids excessive. En effet, la connexion permanente (smartphones allumés la nuit) et la lumière bleue des écrans perturbent le sommeil. Concrètement, la lumière bleue a un effet sur la sécrétion de mélatonine et par conséquent, un impact sur le rythme circadien. Le facteur « écran » est l’un des principaux facteurs expliquant que les Français ont perdu 1h30 de sommeil au cours de ces 50 dernières années, selon l’INSV. Un mauvais sommeil (en quantité et qualité) peut conduire à une diminution de sensibilité à l’insuline, une diminution du taux de leptine et une augmentation de l’appétence pour les aliments à forte densité énergétique (Karine et al., 2004). Et in fine, à une prise de poids.
La sédentarité aussi y contribue. Ce mal qui touche la société actuelle se définit comme le temps passé assis ou allongé, en dehors des temps de repas et de sommeil. La sédentarité est le 4ème facteur de risque comportemental de maladies non-transmissibles (diabète, MCV, certains cancers.), après le tabac, la consommation de sel et celle d’alcool. Elle est encouragée par l’usage des écrans. Selon l’étude Inca 3 (Anses), en 7 ans, le temps de sédentarité a augmenté de 20 minutes par jour pour les enfants, et d’1h20 par jour pour les adultes !. Au total, ce sont environ 5 millions de décès par an dans le monde qui seraient attribuables à une activité physique insuffisante (Forouzanfar et al., 2015).
La tranche d’âge la plus touchée par la sédentarité est celle des 18-35 ans (7,4 h/jour), génération également la plus adepte de loisirs tels que la consultation d’internet et le visionnage de vidéos, films et séries. A titre de comparaison, les 55-70 ans pratiquent en moyenne 5,8 h par jour d’activité sédentaire (Esteban, 2017).
L’omniprésence des écrans contribue également à la baisse de l’attention portée à ce que l’on mange : la distraction à table empêche de prendre pleinement conscience de ce que l’on mange, ce qui fait ignorer la sensation de satiété et par conséquent contribue à la prise de poids.
En conclusion, le numérique contribue-t-il plutôt à maigrir ou à grossir ?
Les implications du numérique dans la gestion du poids étant multiples et le numérique se développant chaque jour, les conséquences – qu’elles soient positives ou négatives – ne sont encore probablement pas toutes connues.
Il n’y a donc pas de réponse unique et l’utilisation de ces outils doit être relativisée. Certes, ils peuvent engendrer un cercle vicieux (sédentarité, modification de l’horloge biologique, baisse de la conscience lors de la prise alimentaire.), mais à l’inverse, peuvent initier un cercle vertueux (conseils alimentaires, suivi du poids, aide à l’activité physique, esprit de communauté.). Le principal est alors de ne pas tomber dans l’excès, car comme en nutrition, tout est question d’équilibre.
De plus, il ne faut pas écarter la question de l’accès à ces outils : les objets connectés sont relativement coûteux, les applications personnalisées sont souvent payantes. Ces outils au service de la nutrition, ne contribueront-ils pas à creuser l’écart entre différentes catégories sociales ? Cette interrogation rejoint la problématique de la précarité comme facteur de risque de l’obésité. Tout en sachant que les dernières projections de l’OCDE sont peu favorables. la prévalence de l’obésité est estimée à 21 % en France en 2030 (face à 16 % aujourd’hui).
Synthèse réalisée par Doriane LANGLAIS
FOODINNOV NUTRITION
Références bibliographiques
- BRATMAN S., KNIGHT D., 2001. Health Food Junkies : Overcoming the Obsession with Healthful Eating. Broadway Book, janvier 2001.
- ETUDE ESTEBAN, 2017. Étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition (Esteban) 2014-2016. Volet nutrition.
- FOROUZANFAR M., ALEXANDER L., ANDERSON R., BACHMAN V.F., BIRYUKOV S., BRAUER M., … & DELWICHE K. 2015. Global, regional, and national comparative risk assessment of 79 behavioural, environmental and occupational, and metabolic risks or clusters of risks, 1990-2015: a systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2015. The Lancet, Volume 388 , Issue 10053 , 1659 – 1724.
- KARINE S., ESRA T., PLAMEN P., 2004. Sleep curtailment in healthy young men is assocated with decreased leptin levels, elevated ghrelin levels, and increased hunger and appetite.American College of Physicians, 141, 846-50.
- SORBIER L., 2006. Quand la révolution numérique n’est plus virtuelle…, Esprit, 2006/5 (Mai), p. 121-127. DOI : 10.3917/espri.0605.0121.
- VOSOUGHI S., ROY D., ARAL S., 2018. The spread of true and false news online. Science, 359(6380), 1146-1151.