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#nutrition

Ces dernières années, s’il y a bien un espace où les consommateurs se retrouvent de plus en plus, ce sont les réseaux sociaux : véritables lieux de rendez-vous, d’échanges et même de recherche d’informations. Ce qui séduit les utilisateurs de Facebook, Snapchat et autre Twitter est l’instantanéité de la réponse : par l’ami que nous côtoyons régulièrement, par le community manager d’une grande entreprise, ou par le médecin représentant d’un organisme de santé. Toutes les questions peuvent être posées sur les réseaux sociaux, parmi elles, des questions nutrition ! Pléthore d’interlocuteurs sont à portée de clavier, par conséquent, toutes leurs connaissances, expériences et croyances le sont également. Quel crédit accorder à chacun d’eux ? Et surtout, un interlocuteur « virtuel » a-t-il autant d’influence qu’un interlocuteur « réel » ?

Actuellement, peu d’études portent sur l’impact des contenus consultés sur les réseaux sociaux sur le régime alimentaire. Aux Etats-Unis, une étude a été menée en 2016 sur l’utilisation des réseaux sociaux et les préoccupations alimentaires chez des adultes de 19 à 32 ans. Les résultats montrent que les personnes qui utilisent le plus les réseaux sociaux (en volume et en fréquence) sont celles qui sont les plus sujettes aux troubles nutritionnels. Qu’en serait-il en France ? Et surtout qu’en serait-il avec des adolescents, qui sont les plus grands utilisateurs de réseaux sociaux ? Car à cet âge, les avis sont influençables. Prenons l’exemple d’une vidéo publiée sur YouTube qui a beaucoup fait parler d’elle au début de l’été 2017. Il s’agit d’une vidéo tournée par une bloggeuse française, suivie par non moins de 1,9 million d’abonnés, intitulée « Comment mon corps a changé ? Anorexie, régime et vraie solution ». La Youtubeuse explique les clés, selon elle, d’un régime alimentaire idéal pour surveiller son poids. Ces recommandations nutritionnelles ont été visionnées par de nombreux abonnés, des jeunes filles principalement. Mais elles ont également fait l’objet de vifs commentaires alertant sur le manque de bien-fondé de certains conseils. De plus, l’objectivité de la bloggeuse a été remise en cause avec la présentation de marques de produits allégés, de sodas édulcorés. Combien de personnes auront-elles été influencées par cette vidéo aux conseils parfois douteux. ? Impossible de l’estimer.

Cet exemple est un parmi tant d’autres ; en effet, les chiffres donnent le vertige : plus de 26 millions de posts identifiés #nutrition sur Instagram, des millions de followers pour la page Fitness & Nutrition sur Twitter. Avec cette abondance de conseils nutritionnels, l’esprit critique des consommateurs est mis à rude épreuve.

Doriane LANGLAIS,
Ingénieur-Conseil FOODINNOV NUTRITION
1 SIDANI J. E., SHENSA A., HOFFMAN B., HANMER J., PRIMACK B. A., 2016. The association between social media use and eating concerns among US young adults. Journal of the Academy of Nutrition and Dietetics, 116(9), 1465-1472

 

Interview

Nutrition et réseaux sociaux : les pairs prennent-ils le pas sur les experts ?

Qui sont les différents prescripteurs en termes d’alimentation ?

En matière d’alimentation, comme dans bien d’autres domaines, les interlocuteurs sont multiples : depuis les proches (amis, voisins, famille) jusqu’aux médecins en passant par les médias et les réseaux sociaux, ou encore les industries agroalimentaires. Les prescripteurs sont tellement nombreux qu’il est difficile de donner une liste exhaustive.

Des facteurs influencent-ils l’adhésion et la confiance accordée aux différents prescripteurs ?

Oui, tout à fait. En fonction de leur niveau de diplôme, de leur position sociale, mais aussi de leur âge et de leur sexe, les consommateurs auront tendance à se fier à différents prescripteurs. Par exemple, le crédit accordé aux interlocuteurs informels (amis, famille) est plutôt plus fort chez les personnes peu diplômées, ou encore chez les jeunes. En revanche, celui conféré aux médecins augmente avec le niveau de diplôme, et dans certains cas chez les personnes âgées.

Une même personne peut se fier à différents prescripteurs, il n’y a pas de monopole, mais plutôt une hiérarchisation en fonction de la confiance accordée à l’interlocuteur. Le niveau de confiance peut varier selon le statut du prescripteur, ses diplômes, sa relation (entourage proche), son expérience – qu’elle soit personnelle ou professionnelle -, etc.

Il serait cependant difficile d’établir une hiérarchie précise et unique pour diverses raisons : la hiérarchie varie selon les profils comme expliqué précédemment. Par ailleurs, il n’est pas toujours facile d’enquêter sur le recours aux prescripteurs, pour deux raisons (au moins). D’une part, les enquêtés eux-mêmes n’établissent pas toujours un classement clair : on relève parfois des distinctions entre les questions pour lesquelles ils vont préférer demander à leur médecin et les questions pour lesquelles, au contraire, ils se tourneront vers leurs proches ou les médias. Par ailleurs, face à l’enquêteur se joue parfois un « biais de désirabilité sociale » qui complique l’exercice de hiérarchisation des prescripteurs. Cette notion est définie comme la « volonté du répondant de se montrer sous un jour favorable » (Crowne et Marlowe, 1960), autrement dit la réponse de l’interrogé sera influencée par sa perception de ce que la société considère comme étant la meilleure chose à faire.

En effet, lorsqu’on étudie le recours aux prescripteurs, les résultats sont déclaratifs ; soit on demande dans un questionnaire de donner un classement en fonction de la confiance qu’on accorde, ou de la fréquence à laquelle on s’adresse à tel ou tel prescripteur ; soit on aborde la question dans un entretien moins directif, et on peut obtenir des réponses plus nuancées.

Prenons l’exemple d’une jeune mère, de niveau de diplôme supérieur au bac ; à la question pour savoir auprès de qui elle prend conseil pour l’alimentation de son enfant, elle répondra souvent « le pédiatre » (Gojard, 2010). En revanche, au fur et à mesure de l’entretien, il n’est pas rare que cette même femme déclare finalement se rapprocher souvent de sa propre mère pour ces questions. L’expérience de l’entourage peut avoir un poids important dans les choix alimentaires : la « vérité d’expérience » peut être forte lorsque l’expérience est tirée d’un individu proche ou lorsqu’elle a été vécue par la mère elle-même « quand j’étais petite, j’en ai mangé et je me porte très bien aujourd’hui ».

Enfin, dernière difficulté pour connaître l’importance de l’influence des différents prescripteurs : la source du conseil suivi. Dans les faits, il est difficile de dire de quelle source provient tel ou tel comportement alimentaire, sachant qu’il est probablement dicté par une synergie de prescripteurs. Les phrases telles que « j’ai entendu que », « tout le monde dit que », « c’est évident que » reflètent cette difficulté.

La « vérité d’expérience » sur les réseaux sociaux peut-elle peser autant que celle de proches ?

Un partage d’expérience peut peser dans les choix alimentaires, mais pas n’importe lequel. En effet, bien que les réseaux sociaux apportent cette notion de « proximité », d’échange instantané et d’interaction d’individu à individu – par opposition aux conseils issus d’entreprises ou des pouvoirs publics par exemple -, les consommateurs ne sont pas prêts à suivre les conseils de n’importe qui sur les réseaux. Pour qu’une expérience devienne une « vérité d’expérience », elle doit être issue d’un proche.

Avec l’avènement des réseaux sociaux, l’accès et les échanges d’informations n’ont jamais été aussi faciles. Ce « prescripteur » grandissant a-t-il un impact sur les comportements alimentaires ?

Je manque d’éléments empiriques pour répondre à cette question. À l’heure actuelle, à ma connaissance, aucune étude n’a été publiée sur la relation entre usage des réseaux sociaux et consommations alimentaires en France, et ce, pour plusieurs raisons : l’engouement pour les réseaux sociaux est une pratique relativement récente et donc encore peu étudiée dans le domaine de l’alimentation. De plus, la méthodologie pour une telle étude ne serait pas simple à mettre en place ; car pour étudier une évolution, il faut des résultats comparables d’une période à une autre, par conséquent il faudrait que la méthodologie employée soit suffisamment proche de celle d’études déjà menées afin de pouvoir observer si impact des réseaux sociaux sur les comportements alimentaires il y a, ou non.

En revanche, transmettre une information via les réseaux sociaux ne signifie pas qu’elle sera mise en pratique dans le régime alimentaire de l’individu. De manière générale, les changements de pratiques alimentaires sont assez lents, et de nombreux travaux montrent qu’il est relativement facile d’informer les consommateurs, mais beaucoup plus difficile de faire en sorte que cette information influence les pratiques, au moins à court terme. Ainsi en prenant l’exemple des messages de santé publique, la connaissance des messages du Plan National Nutrition Santé est assez répandue, par exemple concernant les légumes, mais la consommation de légumes en moyenne reste stable depuis 2009 (Insee, 2015). Des effets de mode existent sur certains types de régimes, mais là encore on manque d’éléments chiffrés pour évaluer leur véritable portée, et leur pérennité.

La multiplication des sources d’informations a-t-elle tendance à équilibrer les connaissances des consommateurs ou, au contraire, creuse-t-elle un écart suivant les prescripteurs suivis ?

Je ne suis pas sûre que ce soit la multiplication des sources qui creuse l’écart. Par exemple, on sait très bien que les messages favorisant la consommation de légumes ont plus d’effet sur les catégories diplômées, urbaines, aisées, bref sur ceux qui consommaient déjà le plus de légumes en moyenne. C’est plutôt ici l’effet d’un message généraliste, qui parle surtout à ceux pour qui il fait sens.

Mais la construction de messages ciblés, diffusés à une échelle locale, qui est généralement considérée comme plus efficace pour toucher les cibles les plus éloignées, est plus difficile à concevoir et à mettre en ouvre.

Ces réticences à changer de comportement alimentaire peuvent elles s’expliquer par les « incohérences » entre discours des autorités, publications scientifiques, médias de l’information.? Encouragent-elles les consommateurs à se tourner vers leurs pairs ?

Cette multiplicité des sources d’informations – parfois contradictoires entre elles – peuvent conduire à ce qu’on appelle « cacophonie alimentaire » (voir encadré « Qu’est-ce que la cacophonie nutritionnelle ? »). Le consommateur se perd effectivement au milieu d’informations antinomiques. C’est pourquoi face à ces contradictions, la plupart des consommateurs auront tendance à choisir une source de conseils qu’ils considèrent comme fiable, et à ne pas trop accorder d’importance aux autres. Dans certains milieux (plutôt les jeunes, les ménages peu diplômés.) cela peut favoriser des informations en provenance du groupe de pairs, mais il ne faut pas sous-estimer la distance critique qu’ils peuvent avoir face aux prescriptions, auxquelles ils n’adhèrent pas nécessairement. C’est aussi pour cette raison que les pratiques changent moins vite que les discours.

Un mot de la fin ?

Pour revenir à votre question de départ, je ne suis pas sûre qu’on puisse dire vraiment que les pairs prennent le pas sur les experts, ni a fortiori que ce soit quelque chose de si récent. Par ailleurs, dans quelle mesure un bloggeur ou un individu lambda qui s’autoproclame spécialiste en nutrition peut-il vraiment être défini comme un pair ? Cela n’a rien d’évident, dans bien des cas la relation de confiance établie avec les pairs passe par les interactions directes et par le transfert d’expérience, ce n’est pas immédiatement transposable au cas des relations à distance sur les réseaux sociaux (qui sont elles mêmes fortement différentes selon le type de réseaux). Certains bloggeurs sont dépendants des annonceurs, ce qui joue sur le contenu de leur blog, et les abonnés ne sont pas toujours dupes.

 

Propos recueillis par Doriane LANGLAIS,
FOODINNOV NUTRITION

Pour aller plus loin…

Vient de paraitre

L'alimentation des enfants racontée aux parents

Jean-François DESESSARD & Sophie NICKLAUS, Éditions Quae, Août 2017, 192 pages, 17 €.

Quand un conseiller en communication, Jean-François DESESSARD, et la directrice de recherche au Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation, Sophie NICKLAUS, se rencontrent, il naît un livre retraçant l’enfance. du point de vue alimentaire. Allaitement, néophobie alimentaire, éducation au goût, émancipation adolescente. sont autant de thèmes abordés dans cet ouvrage pour lesquels des spécialistes – chercheurs, ingénieurs et médecins – ont accepté de répondre aux questions des deux auteurs.

Un livre pour « donner à votre enfant le goût de bien manger ».

Régimes : la grande illusion - La solution est dans votre intestin

Tim SPECTOR. Editions Dunod, Septembre 2017, 384 pages, 22 €.

Pourquoi la plupart des régimes échouent-ils ? Pourquoi grossissons nous quand nous mangeons un certain plat tandis qu’un autre va perdre du poids ? Pourquoi continuons-nous à grossir malgré tous les bons conseils dont nous sommes abreuvés ?

Nous avons beau répéter le mantra qui devrait nous sauver : « Manger moins, se dépenser plus », la réponse à toutes ces questions n’est pas là. Elle est dans notre intestin. En s’appuyant sur les découvertes scientifiques les plus récentes, Tim Spector met à bas le mythe du régime idéal. Il nous révèle les secrets d’une nutrition équilibrée et nous invite à cultiver notre jardin intérieur pour vivre plus longtemps et en bonne santé.

Salons & Évènements

Ateliers Nutrition Pasteur - De la fragilité à la dénutrition en passant par la sarcopénie chez les personnes âgées

7 décembre 2017, Lille, Institut Pasteur

Journées Françaises de Nutrition 2017

Du 13 au 15 décembre, Nantes

Valorial Connection - Fermentation/aliments fermentés

21 décembre 2017, Rennes

Colloque « Cancer : les actualités de la recherche en nutrition »

Les 30 novembre et 1er décembre 2017, Paris

VALORIAL

8, rue Jules Maillard de la Gournerie

35000 Rennes

France

Tél : +33 (0)2 99 31 53 05

Email : valorial@pole-valorial.fr

www.pole-valorial.fr

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