Valorial Nutrition : Pouvez-vous nous rappeler ce qu’est la « nutrigénomique » ?
Marc Ferrara : La nutrigénomique consiste à étudier la façon dont les gènes et les nutriments interagissent et, par conséquent, la raison pour laquelle les personnes réagissent différemment aux nutriments.
V.N : Quelle est la différence entre nutrigénomique et « nutrigénétique » ?
M.F. : Si la nutrigénomique est l’étude de l’effet des nutriments sur l’expression des gènes, la nutrigénétique est l’influence des caractéristiques des gènes sur l’utilisation des nutriments.
Ceci s’inscrit dans une relation bidirectionnelle liant les nutriments aux processus cellulaires et qui est illustrée dans le schéma suivant (cliquez sur l’image pour agrandir) :
V.N. : Comment ces nouvelles sciences ont-elles émergé ?
M.F. : Ces deux domaines de recherche – l’alliance de la génomique et de la nutrition – ne constituent pas des sciences à proprement parler. Ils ont émergé dans les années 2000.
Elles ont pu se développer grâce au séquençage du génome humain et à celui de différents animaux de laboratoire. Les techniques d’analyse de l’expression des gènes, les méthodes d’analyses permettant la quantification et les outils mathématiques pour la mise en évidence de relations robustes entre les données ont également contribué à leur développement.
La post-génomique a eu par la suite comme objectifs l’attribution d’un rôle physiologique aux éléments génétiques et à augmenter la précision des interactions fonctionnelles dans l’organisation et le développement cellulaires.
V.N. : Pouvez-vous nous expliquer comment les nutriments produisent un effet sur les gènes ?
M.F. : On parle d’effets des nutriments sur les gènes pour décrire les mécanismes en jeu. De mon point de vue, cette formulation est une facilité de langage car, ce qui est réellement à l’oeuvre se sont les mécanismes d’adaptation de la cellule à son microenvironnement que constitue l’apport ou la disponibilité en nutriments.
Il s’agit d’une réponse cellulaire fondée sur des réseaux d’interactions qui peuvent être modulées voire modifiées en fonction de la présence ou de l’abondance de différentes molécules.
Une manière de schématiser les choses est de considérer qu’une fonction physiologique est un réseau en action incluant les nutriments ou leurs métabolites ; dans ce concept, les nutriments sont des éléments de l’interaction globale et donc des facteurs pouvant moduler la fonction.
A titre d’illustration, le schéma ci-après (cliquez sur l’image pour agrandir) représente le métabolisme du glucose chez l’Homme qui implique 589 molécules (7943 interactions) de nature différente (protéines libres ou complexées, métabolites).
V.N. : Cet effet est-il variable entre les individus ?
M.F. : La relation nutriments-gènes est bidirectionnelle (cf. illustration en bas) et le réseau d’interactions inclut les gènes par l’intermédiaire du produit de leur expression. Les caractéristiques de ces gènes (polymorphisme de séquence ou de structure -épigénomique-) vont influer sur l’utilisation et l’effet des nutriments.
Ainsi, cet effet peut être effectivement variable selon les individus et cela constitue la variabilité inter-individuelle qui est un paramètre de plus en plus étudié.
V.N. : Y a-t-il des fenêtres de vie où le code génétique est plus sensible à ces effets ?
M.F. : L’épigénétique, évoquée précédemment comme intervenant dans le réseau fonctionnel, est une modification structurale et fonctionnelle du génome sous l’influence de l’environnement. Souvent transmissible, elle est, selon les études actuelles, particulièrement active durant deux périodes spécifiques : celle du développement fœtal et celle de l’adolescence.
V.N. : Pensez-vous que la nutrigénomique puisse être au service de la prévention ou traitement des maladies et dérèglements métaboliques ?
M.F. : La nutrigénomique, définie comme l’étude des interactions entre gènes et nutriments, permet de connaître et de préciser les “cibles” des aliments et les mécanismes d’action.
Elle représente ainsi un potentiel pour objectiver, grâce à la compréhension des mécanismes, la production de produits optimisant le métabolisme et les différentes fonctions physiologiques de l’Homme voire d’atténuer par l’alimentation les dérèglements métaboliques accompagnant un certain nombre de pathologies non infectieuses.
V.N. : Quels sont les résultats d’études menées aujourd’hui concernant les maladies telles que l’obésité ?
M.F. : Alors que les approches de génomique conduisent à l’identification de gènes de susceptibilité aux différentes maladies, la nutrigénomique met en évidence l’impact fonctionnel des états pathologiques en se focalisant sur les étapes d’expression des gènes : analyse des transcrits (transcriptomique), des protéines (protéomique) et des métabolites (métabolomique).
Dans le cas de l’obésité, la transcriptomique a permis de révéler les caractéristiques et les altérations tissu-spécifiques des gènes impliqués dans l’adipogenèse (stockage des lipides par les adipocytes et fabrication du tissu adipeux), l’inflammation et la néoglucogenèse (synthèse du glucose à partir de précurseurs non-glucidiques). Elle a aussi permis d’analyser les effets de restrictions caloriques et de perte de poids sur le profil d’expression du tissu adipeux d’individus obèses.
La protéomique a permis d’identifier des biomarqueurs de vulnérabilité à des maladies associées à l’obésité comme le cancer colorectal. Elle a aussi permis de montrer les effets de régimes riches en lipides dans différents tissus. Cette approche est susceptible d’aboutir à l’identification de protéines biomarqueurs détectables dans le plasma des individus.
Les études de métabolomique ont identifié dans le sang, les tissus et les urines divers métabolites impliqués dans la pathologie et qui sont des intermédiaires qui appartiennent à des voies métaboliques variées: acides gras, glucides, acides aminés, acides biliaires, bases, indiquant ainsi que dans l’obésité l’ensemble du métabolisme est modifié.
V.N. : Des recommandations nutritionnelles sont formulées aujourd’hui par plusieurs sociétés sur la base du terrain génétique de chacun. Qu’en pensez-vous ?
M.F. : La nutrition personnalisée est effectivement une perspective mise en avant par plusieurs sociétés. Pour atteindre cet objectif, il est nécessaire d’identifier les individus qui sont génétiquement, métaboliquement et physiologiquement différents entre eux et qui présentent des réponses différentes aux composés alimentaires.
Le seul critère génétique (polymorphisme), généralement analysé par les diverses sociétés, n’est pas suffisant pour une préconisation et une prévention réellement efficaces. A toutes ces différences, il conviendra d’ajouter le parcours de vie et l’actuel style de vie. Les technologies existantes permettent de recueillir des données dont il faudra valider le potentiel prédictif sur un grand nombre d’individus. La question pour l’ensemble du secteur de la santé et de l’agriculture, des consommateurs aux industries, et pour les instances de réglementation et d’éducation est de savoir comment atteindre cette personnalisation.
De mon point de vue, à court et moyen terme, cette démarche ne devrait concerner que des sous-ensembles partiellement caractérisés de populations (diabète, personnes âgées dépendantes, rémission cancer du sein, etc.).
Propos recueillis par Amine EL-ORCHE,
Consultant LRBEVA Nutrition.
Nutrition personnalisée : projet Food4Me
Présentation
Le projet Food4Me «Personalised nutrition: an integrated analysis of opportunities and challenges» est un projet d’étude du potentiel de la nutrition personnalisé. Lancé en avril 2011 pour une durée de 4 ans, il a été financé par la commission européenne et mené par un consortium de 25 partenaires dans 12 pays européens.
Objectif
Valider le principe selon lequel les conseils diététiques personnalisés intégralement dispensés via Internet pourraient changer le mode de vie des populations.
Méthodologie
Un questionnaire sur la fréquence alimentaire a été élaboré. Il a été diffusé sur Internet, et visait l’analyse diététique personnalisée. Il a permis d’obtenir une évaluation basée sur les principaux choix alimentaires des personnes interrogées. Une nouvelle méthode qui comprenait un atlas photographique numérique a été utilisée pour quantifier les apports alimentaires. Elle a été validée dans 2 études à comité de lecture.
Les participants (plus de 1.200 personnes issues de 7 centres européens participants) ont été randomisés pour recevoir quatre types de conseils différents:
1. Pas de conseils personnalisés, uniquement orientés vers des sites d’accès libre consacrés à l’alimentation saine au sein de leur pays (groupe de contrôle).
2. Les trois autres groupes ont reçu des conseils personnalisés basés sur :
- leur régime alimentaire actuel,
- leur régime alimentaire actuel et des données phénotypiques (caractéristiques mesurables, telles que les mesures physiques et biochimiques, par ex. la taille, le poids ou le niveau de cholestérol),
- leur régime alimentaire actuel, des données phénotypiques et des données génétiques (qui déterminent l’identité génétique héréditaire d’une personne, par ex. : une variante d’un gène associée à la prise de poids).
Résultats
En moyenne, les groupes de nutrition personnalisée ont obtenu de meilleurs résultats en termes d’amélioration des apports alimentaires, par rapport au groupe de contrôle, indépendamment du niveau de conseils.
Lorsque des comparaisons ont été effectuées entre les trois groupes personnalisés, il n’a été constaté aucun avantage significatif pour les approches combinées au-delà des conseils diététiques personnalisés, ce qui suggère que l’aspect personnel est ce qui importe le plus.
LRBEVA Nutrition
|
Nutrigénomique et marché de la nutrition humaine : quelques exemples
Actigenomics
Société suisse qui propose un portefeuille d’Ingrédients naturels “nutrigénomiques actifs” (Active Nutrigenomic Ingrédients “ANI”) protégé par des brevets internationaux. Les Ingrédients les plus développés s’adressent à quatre grandes questions de santé publique : le syndrome métabolique, l’affaiblissement du système immunitaire, le déséquilibre du métabolisme osseux (ostéopénie, ostéoporose) et les troubles du sommeil.
Metagenics
Société américaine qui propose des compléments alimentaires “basés sur la nutrigénomique”. Sa mission : “Transformer des découvertes dans le domaine de la nutrigénomique en produits naturels de santé facilement accessibles” et “aider les gens à vivre plus heureux et en meilleure santé en réalisant leur potentiel génétique”.
23andMe
Société américaine qui propose une analyse du code génétique via un test salivaire, accompagnée de conseils nutritionnels, soi-disant, adaptés au profil de ses clients.
Nutrigenomix
Société torontoise qui a développé un test nutrigénomique pour les diététistes. Le test évalue un groupe de gènes liés à l’absorption et au métabolisme de la vitamine C, de l’acide folique, des grains entiers, des omégas-3, des acides gras polyinsaturés, des gras saturés, du sodium et de la caféine. Le rapport détaillé des analyses génétiques est transmis au professionnel de santé prescrivant le test. Le conseil diététique permet de connaître le génotype pour chaque gène testé et de recevoir une explication des conséquences en fonction de la composante alimentaire et des recommandations alimentaires personnalisées. La société indique sur son site : “En adhérant à ces recommandations, vous optimiserez votre état nutritionnel tout en favorisant la prévention des maladies chroniques liées à la nutrition.”