Depuis quand s’intéresse-t-on au rôle du marketing alimentaire chez les enfants ?
Les premiers travaux sur le sujet remontent aux années 1980. En 1983, Bolton montrait que le temps passé devant la télévision et l’exposition aux publicités alimentaires influencent la consommation des enfants de trois façons :
- Augmentation du nombre de produits de grignotage consommés
- Augmentation faible de l’apport calorique liée à la consommation de ces produits
- De façon indirecte, diminution de la qualité nutritionnelle des produits consommés pendant ce temps.
Quelques années plus tard, au Québec, Goldberg mit en évidence que les enfants francophones étaient moins obèses que les enfants anglophones : les publicités destinées aux enfants sont en effet interdites dans tous les programmes québécois depuis 1980, donc les jeunes francophones n’y sont pas exposés, tandis que les anglophones bénéficient des programmes américains qui ne subissent pas cette interdiction.
Au niveau des plus hautes instances internationales, le marketing alimentaire est une source de préoccupation, bien que plus récente. Ainsi, à l’ONU, le Rapport de 2014 du Rapporteur spécial sur « le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible » enjoignait les États à « réglementer [.] la publicité et la promotion des aliments mauvais pour la santé, en particulier la santé des femmes et des enfants, afin de réduire leur visibilité et d’accroître celle des aliments plus sains ».
Quelle est la position de l’OMS sur le sujet ?
En 2010 déjà, l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) publiait un premier guide multilingue intitulé « Recommandations sur la commercialisation des aliments et boissons non alcoolisées destinés aux enfants », comprenant 12 recommandations. En préambule, l’OMS indiquait alors sa volonté de « faire en sorte que, partout, les enfants soient à l’abri de ce marketing et puissent grandir et se développer dans un environnement alimentaire favorable », ce qui faisait l’objet de l’une des recommandations : « l’objectif global des politiques devrait être de réduire à la fois l’exposition des enfants et la force des messages commerciaux. »
Paradoxalement, l’organisation soulignait déjà la limite de cette recommandation, car les États-Membres estiment « qu’il [est] nécessaire de veiller à ce que le secteur privé commercialise ses produits de façon responsable », renvoyant les industriels à leurs propres responsabilités.
Plus récemment, en novembre 2016, un rapport de l’OMS/Europe a appelé selon ses propres termes « à une action urgente pour protéger les enfants contre le marketing numérique des aliments ». Pour la première fois, des chercheurs et des experts de la santé ont entrepris une analyse complète de la situation du marketing numérique promouvant les aliments riches en matières grasses, en sel et en sucres auprès des enfants de la Région européenne de l’OMS. Les conclusions ont été publiées dans le rapport intitulé « Tackling food marketing to children in a digital world: trans-disciplinary perspectives » [La lutte contre le marketing des aliments pour enfants dans un monde numérique : perspectives transdisciplinaires].
Quelles sont les conclusions de ce rapport ?
Les travaux de recherche récents et plus anciens sont quasi-unanimes sur l’influence importante du marketing des aliments gras, sucrés et salés sur l’obésité infantile. Le rapport rappelle que « le marketing des aliments est considéré par la communauté scientifique comme un important facteur contribuant à l’environnement « obésogène » ». Le nouveau défi aujourd’hui est l’utilisation massive et difficilement contrôlable des outils numériques (internet, réseaux sociaux, jeux vidéo) pour la promotion des produits alimentaires.
L’OMS produit un ensemble de recommandations quant à la réglementation et aux travaux de recherche nécessaires :
1. Reconnaître ledevoir des gouvernements de protéger lesenfants avec des outils réglementaires
2. Étendre la protection hors connexion en ligne
3. Définir les âges légaux, au lieu de laisser les intérêtscommerciaux s’en charger
4. Définir le marketing destiné aux enfants
5. S’appuyer sur les législations et les organismes deréglementation existants
6. Contraindre les plateformes privées à supprimer lemarketing pour les aliments gras/salés/sucrés
7. Développer des systèmes de sanctions appropriés
8. Concevoir des réponses transfrontalières
Comment les professionnels réagissent-ils à cette pression ?
Du côté de la profession, la Chambre de Commerce Internationale (ICC), qui est à l’origine du Code ICC consolidé sur les pratiques de publicité et de communication commerciale, s’est récemment pourvue d’une déclaration sur l’interprétation de ce code pour clarifier la définition de l’âge approprié des enfants et adolescents lorsqu’ils sont ciblés par une communication publicitaire. Comme le cite en France l’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité), l’ICC considère que « les enfants et les jeunes seront inévitablement exposés aux communications marketing. [Elle] encourage une approche plus cohérente des pratiques de marketing et de publicité visant les enfants et les jeunes gens », invoquant sa confiance dans l’autorégulation des acteurs.
Certains fabricants et distributeurs se saisissent du sujet en promouvant une alimentation responsable. C’est par exemple le cas de Disney et de son programme « Tous en forme » ou d’Intermarché avec son opération « Dessine-moi un bon repas » (juin 2016) qui visait à sensibiliser les enfants à la saisonnalité et à l’équilibre alimentaire.
Certains pays ont-ils adopté des réglementations spécifiques ?
Au Royaume-Uni, depuis 2006, la publicité télévisuelle est fermement encadrée : aucune communication sur les produits « malsains » n’est autorisée pendant les émissions destinées aux enfants. C’est l’Ofcom (Office national des communications) qui a établi les règles de diffusion de ces publicités en termes d’horaires et de contenus. Concernant la programmation : « Les éléments suivants ne peuvent être promus au cours ou à proximité immédiate des programmes réservés, principalement destinés ou susceptibles de s’adresser particulièrement à des publics de moins de 16 ans : [.] produits alimentaires ou boissons évalués comme riches en matières grasses, en sel ou en sucre [« HFSS products »] conformément au profilage nutritionnel publié par la Food Standard Agency (FSA).»
Et en France ?
Depuis 2007, un arrêté de la loi de santé publique impose que les publicités en faveur des boissons avec ajouts de sucres, de sel ou d’édulcorants de synthèse ou de produits alimentaires manufacturés doivent contenir une information à caractère sanitaire. Cette disposition s’applique quels que soient les médias (internet, télévision, radio ou affichage publicitaire). Les messages sanitaires, bien connus du grand public (« Pour votre santé, mangez au moins cinq fruits et légumes par jour ».), doivent être adaptés pour les spots « encadrant les programmes jeunesse destinés aux enfants ou insérés dans ces programmes et pour les publicités insérées dans la presse destinée aux enfants » :
- Pour bien grandir, mange au moins cinq fruits et légumes par jour
- Pour être en forme, dépense-toi bien
- Pour bien grandir, ne mange pas trop gras, trop sucré, trop salé
- Pour être en forme, évite de grignoter dans la journée
Pour ce qui est de la publicité à la télévision, la récente Loi n°2016-1771 emboite le pas de la réglementation britannique en supprimant la publicité dans les programmes des chaînes du service public destinés aux enfants de moins de 12 ans à partir du 1er janvier 2018, ainsi que quinze minutes avant et après leur diffusion. Cette règle est aussi valable pour ses sites internet. Pour les chaines privées, en particulier les chaînes jeunesse, pas de règle stricte. Le CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel) a une « mission de contrôle » a posteriori sur l’ensemble des communications commerciales audiovisuelles, tandis que l’ARPP effectue pour ses adhérents un contrôle avant diffusion.
D’autre part, si elle a été quelque peu éclipsée par une autre mesure phare, le Nutri-score, le Professeur Hercberg proposait en 2013 « la régulation de la publicité en fonction de la qualité nutritionnelle des aliments » sur le modèle britannique, dans le cadre du rapport commandé par la ministre de la Santé. Cette mesure a 3 objectifs :
1) « réduire la pression marketing [.] incitant la population, notamment les sujets les plus fragiles (enfants, adolescents, populations défavorisées.) à consommer des aliments de moindre qualité nutritionnelle [.] dont on veut éviter une consommation excessive, ou à avoir des comportements défavorables pour leur santé,
2) favoriser la promotion d’aliments de meilleure qualité nutritionnelle,
3) inciter les industriels à améliorer la qualité nutritionnelle des aliments afin de pouvoir rentrer dans le cadre des aliments autorisés à faire de la publicité. »
L’effet de halo des messages sanitaires a-t-il été étudié ?
L’Inserm (Institut national de la recherche médicale) a été sollicité fin 2013 par Santé Publique France pour réaliser une expertise collective pluridisciplinaire afin de disposer d’un bilan des connaissances scientifiques et d’analyser l’impact de messages sanitaires sur ceux qui y sont exposés.
Diverses enquêtes indiquent ainsi qu’au fil du temps, ces messages attirent de moins en moins l’attention et que leur visibilité est inégale selon les supports. De plus, le mode de diffusion des messages engendre des problèmes de compréhension et ils sont parfois perçus comme une caution des produits présentés dans la publicité.
Sur la base de son expertise, l’Inserm propose les recommandations d’actions suivantes :
– Mettre en place des lois restreignant les actions de marketing alimentaire auxquelles sont exposés les enfants (c’est l’objet de la Loi n°2016-1771)
– Reconsidérer le dispositif des messages sanitaires sur les publicités en dissociant les messages et le contenu publicitaire, par exemple en préférant un message sanitaire en plein écran à la fin du spot publicitaire au bandeau actuel
– Concevoir des messages sanitaires qui pourront solliciter les différents niveaux d’attention :optimiser les messages dans leur forme et leur contenu pour les rendre plus faciles à comprendre et à retenir
– Pré-tester de façon systématique toutes les stratégies de communication envisagées en contexte naturel et avant le lancement.
L’influence des publicités sur la santé des enfants a-t-elle été prouvée ?
Dans plusieurs travaux, il est difficile de distinguer l’influence réciproque de la sédentarité, du grignotage et de la publicité, notamment lorsque sont liés le temps d’exposition télévisuelle et le surpoids.
Toutefois, plusieurs travaux scientifiques suggèrent que les messages publicitaires pour des aliments denses en énergie favorisent des attitudes positives à l’égard de ces aliments, et conforteraient chez les enfants la croyance selon laquelle les produits qui y sont présentés sont bons pour la santé. En particulier, une revue des informations scientifiques de la littérature internationale réalisée pour la FSA, au Royaume-Uni, par Hastings et al a conclu que la publicité alimentaire a un impact sur les préférences alimentaires des enfants et leurs comportements d’achat.
En France, une étude faite par l’INPES (Lamoureux, 2008) citée par S. Hercberg a mis en évidence que les publicités pour les aliments et boissons donnent envie de manger ou de boire à près d’un enfant de 8-14 ans sur deux (47,5 %) et 62 % déclarent demander à leurs parents d’acheter certains aliments et boissons promus dans ces publicités, ce que reconnaissent effectivement 62 % des parents.
Quels sont les nouveaux défis auxquels font face familles et pouvoirs publics vis-à-vis du marketing des aliments « malsains » ?
La principale difficulté pour les pouvoirs publics reste la surveillance des contenus en ligne et issus des réseaux sociaux, très prisés des adolescents et accessibles à des âges de plus en plus précoces. Le rapport de l’OMS (2016) pointe ainsi le « vide juridique en matière de marketing numérique », rappelant que « le marketing en ligne est potentiellement beaucoup plus puissant que toute autre forme de publicité » grâce notamment aux techniques de tracking et à la difficulté pour les parents de suivre les activités en ligne de leurs enfants. L’OMS/Europe encourage les gouvernements de la Région à reconnaître leur devoir à cet égard en mettant en place une réglementation qui protège non seulement les enfants « hors connexion » mais aussi « en ligne », et qui définit clairement la tranche d’âge à laquelle s’appliquent ces mesures ainsi que les types de marketing concernés.
Des associations de consommateurs appellent ainsi les autorités à plus de fermeté et à une réglementation réellement contraignante pour les opérateurs. C’est le cas de la CLCV, qui a interpellé les députés européens de la commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire (ENVI) qui se prononceront prochainement sur la révision de la directive “Services de médias audiovisuels”. Si les recommandations et les idées ne manquent pas, reste à encore à les appliquer sur le marché.
Synthèse réalisée par Clarisse LEMAITRE, consultante
FOODINNOV NUTRITION
Références :
- OMS, 2010. Recommandations sur la commercialisation des aliments et boissons non alcoolisées destinés aux enfants. 16 pp.
- OMS/Europe, 2016. Tackling food marketing to children in a digital world: trans-disciplinary perspectives. 29 pp.
- FSA, 2006. Television Advertising of Food and Drink Products to Children – Final statement. 56 pp.
- Inserm, 2017. Agir sur les comportements nutritionnels-Réglementation, marketing et influence des communications de santé. Expertise collective-Synthèse et recommandations
- Hercberg S. Propositions pour un nouvel élan de la politique nutritionnelle française de santé publique dans le cadre de la Stratégie Nationale de Santé – Première partie : mesures concernant la prévention nutritionnelle. Rapport remis à la ministre de la Santé, novembre 2013.
- Hanks AS, Just DR, Brumberg A. Marketing Vegetables in Elementary School Cafeterias to Increase Uptake. Pediatrics. 2016 Aug;138(2). doi: 10.1542/peds.2015-1720.
- Hastings, G., et al. (2003). Review of research on the effects of food promotion to children. Final report. Prepared for the Food Standard Agency, Glasgow: Center for Social Marketing. University of Strathclyde.