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La notion de fermentation implique historiquement le recours aux cultures microbiennes pour produire ou conserver des aliments. À l’heure où les attentes des consommateurs portent surtout sur la naturalité des produits, mais aussi sur les protéines alternatives, le concept de fermentation s’est élargi, avec trois notions clés : la fermentation traditionnelle, la fermentation de biomasse, et la fermentation de précision. Aujourd’hui, dernier épisode de la série sur la fermentation, avec un focus sur la fermentation de précision.

 

Définition du concept 

Dans le cas de la fermentation de précision, les cellules (aussi bien Eurcaryotes que Procaryotes) sont utilisées comme de véritables usines de production, pour la production d’ingrédients fonctionnels (polysaccharides, protéines, lipides/acides gras oméga-3, vitamines, minéraux et fibres alimentaires). Plus loin, les progrès rapides de la biologie de précision ont permis la programmation de microbes pour produire des molécules organiques complexes : dans ce cas de figure, la « programmation » est ciblée, pour que la cellule procaryote acquière la capacité à produire une ou plusieurs molécule(s) d’intérêt. Historiquement, cette technique est utilisée en pharmacie pour la production d’insuline, à destination des patients atteints de diabète de type 1.

 

Réglementation : différents usages, différents règlements

Les deux précédents types de fermentations abordées dans notre série (fermentation traditionnelle, fermentation de précision) servaient essentiellement à produire des nouveaux ingrédients, au sens du règlement Novel Food 2015/2283. Vu que la fermentation de précision se focalise sur la dimension moléculaire, les composés produits peuvent avoir des fonctions diverses : ingrédients bien sûr (donc règlement Novel Food 2015/2283), mais aussi additifs (règlement 1333/2008), enzymes (règlement 1332/2008), mais également arômes (règlement 1334/2008). Dans tous les cas, si la molécule est considérée comme nouvelle, jamais utilisée auparavant sur le territoire européen, une autorisation à l’échelle européenne est requise pour les opérateurs.

 

Autorisations obtenues, demandes en cours

Dans ce secteur de l’alimentation, les lipides et les glucides ont déjà fait l’objet de plusieurs autorisations en tant qu’ingrédients. Ainsi, les huiles de Schizochytrium sp. ont déjà obtenu le feu vert européen pour être incorporées dans les formules infantiles, dans le cadre de l’enrichissement obligatoire de ces formules en DHA. Pour les glucides complexes à l’instar des oligosaccharides du lait humain (human milk oligosaccharides, HMOs), les autorisations d’usage dans les formules infantiles et de suite ont été obtenues dès la fin des années 2010. Ces autorisations concernent notamment le 2′-fucosyllactose (2’-FL), le 3′-sialyllactose (3’-SL), ou encore le 6’-sialyllactose (6’-SL). Ces HMOs sont en effet produits par des souches d’Escherichia coli génétiquement modifiées. Au sens du règlement 1829/2003, ces HMOs ne sont cependant pas considérés comme des organismes génétiquement modifiés (OGM).

Ces autorisations sont autant d’éléments positifs pour le secteur des protéines, qui n’est pas en reste vu le potentiel d’innovation. Pour l’heure, c’est l’entreprise américaine Perfect Day qui est pionnière : sa β-lactoglobuline synthétisée à partir de Trichoderma reesei a fait l’objet d’une demande d’autorisation soumise aux autorités européennes le 27 septembre 2022. D’autres entreprises se positionnent également sur ce procédé alternatif permettant la synthèse de protéines présentes dans le lait. Ainsi, en 2022, le Groupe Bel a annoncé plusieurs partenariats de recherche portant sur les protéines alternatives produites par fermentation de précision, notamment avec la start-up française Standing Ovation et la start-up américaine Superbrewed Food. En janvier 2023, le groupe a ainsi lancé sur le marché américain « Nurishh Incredible Dairy » sa première gamme d’alternatives au fromage contenant des β-lactoglubulines produite par fermentation de précision, en partenariat avec la start-up Perfect Day.

Outre les aspects nutritionnels, la fermentation de précision permet aussi de produire des molécules d’intérêt technologique (arômes, additifs ou enzymes). La société Impossible Foods a déposé en 2019 une demande d’autorisation pour la leghémoglobine de soja, produite par fermentation de précision : la molécule est aujourd’hui en cours d’évaluation à la fois en tant qu’additif et en tant qu’OGM par les autorités europénnes. En janvier 2023, EvodiaBio a mis le cap sur la fermentation de précision pour la production durable d’arômes pour l’industrie alimentaire et des boissons. Les arômes monoterpénoïdes d’EvodiaBio sont produits à l’aide de cellules de levure qui sécrètent les composants aromatiques individuels et sont ensuite combinés pour imiter les profils aromatiques de différents houblons. Le résultat est un produit naturel, pur et durable. La technologie a été développée après des années de recherche par les co-fondateurs scientifiques, le professeur Sotirios Kampranis, le Dr Simon Dusséaux et le Dr Victor Forman.

À la mi-février 2023, plusieurs de ces start-ups ont annoncé leur volonté de joindre leurs forces dans une structure commune, la Precision Fermentation Alliance.  Il s’agit de la toute première organisation au niveau mondial représentant ce secteur. Neuf start-ups se sont jointes pour fonder cette alliance : Change Foods, The Every Company, Helaina, Imagindary, Motif FoodWorks, New Culture, Onego Bio, Perfect Day, et Remilk. Cette alliance a pour objectif d’être le porte-voix de l’industrie dédiée, mais se veut aussi pédagogique vis-à-vis des régulateurs et des consommateurs en jouant la carte de la transparence sur les ingrédients pouvant être produits.

 

Freins à la fermentation de précision

Dans la mesure où la fermentation de précision est très similaire à la fermentation de biomasse, les freins sont similaires entre les deux types de fermentations. Les verrous règlementaires ont largement été évoqués, y compris pour les potentiels OGM ; doit surtout être mentionnée la phase d’industrialisation à grande échelle, qui représente un défi majeur. Si les productions à l’échelle du laboratoire sont aujourd’hui assurées pour certaines entreprises, rares sont celles en mesure aujourd’hui de pouvoir prétendre à une production de masse d’ingrédients. En conséquence, les coûts finaux des ingrédients sont pour l’instant très élevés, avec l’espoir d’une réduction de ces coûts au fur et à mesure des avancées technologiques. Enfin, tout comme la fermentation de biomasse, l’acceptabilité des consommateurs reste une inconnue, malgré les promesses environnementales des opérateurs.

 

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