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Les études montrant (ou suggérant) des effets délétères d’additifs ont de bonnes chances d’être reprises par les médias. La dernière en date, sur le E968, n’échappe pas à la règle, suggérant que cet édulcorant provoquerait une hausse des maladies cardiovasculaires. Cet additif, autorisé en Union Européenne, avait fait l’objet d’une ré-évaluation au début des années 2010 par l’EFSA. A l’époque, les experts avaient surtout insisté sur la mauvaise tolérance digestive du E968. Dit autrement, les effets cardiovasculaires du E968 seraient totalement nouveaux pour cet additif. Pour suggérer l’hypothèse d’effets délétères du E968 sur la santé cardiovasculaire, l’équipe de chercheurs ont eu recours à quatre expérimentations : épidémiologique, in vitro, pré-clinique, et clinique.

 

Dans la partie épidémiologique, les chercheurs se sont appuyés sur trois cohortes de participants (deux cohortes américaines, et une cohorte européenne), chez lesquels les niveaux circulants d’érythritol ont été mesurés. D’autre part, la survenue de maladies cardiovasculaires chez ces participants a été documentée ; l’objectif étant de corréler cet état de santé avec les taux circulants d’érythritol. Au total, les données de près de 4000 personnes ont été étudiées. Dans chaque cohorte, la même corrélation significative est retrouvée : les personnes ayant les plus forts taux circulants d’érythritol sont les plus à risque de maladies cardiovasculaires. Puisqu’il s’agit d’une étude épidémiologique, ces liens n’indiquent certes pas de causalité. Cependant, un autre problème émerge : les auteurs soulignent que l’organisme est capable de produire de l’érythritol, et en grandes quantités lors de maladies cardiovasculaires. Dès lors, les taux d’érythritol dans le sang correspondent-ils à de l’érythritol exogène (c’est-à-dire, sous forme d’additif), ou bien à de l’érythritol endogène (c’est-à-dire, ni plus ni moins qu’un marqueur connu des maladies cardiovasculaires, auquel cas il s’agirait d’un biais de causalité inverse) ?

Indépendamment de ce biais, les auteurs de l’étude ont ensuite cherché à déterminer les mécanismes d’action du E968 au niveau de l’agrégation plaquettaire, en réalisant une expérimentation in vitro tout d’abord. Pour ce faire, du plasma humain riche en plaquettes a été incubé en présence d’E968 à des concentrations similaires à celles retrouvées dans les cohortes décrites plus haut. Le E968 a bien provoqué une hausse de l’agrégation plaquettaire : c’est un résultat incriminant, mais qui est à fortement relativiser puisqu’obtenu par expérimentation in vitro. Les auteurs ont ensuite eu recours à des souris, chez lesquelles a été injecté par voie intrapéritonéale soit une solution saline (contrôle), soit du E968. Une thrombose a bien été constatée quasi-immédiatement après l’injection, puis l’euthanasie des souris ; cependant, les additifs ne sont jamais injectés par voie intrapéritonéale, mais consommés par voie orale. L’étude pré-clinique et ses effets, bien qu’impressionnants, ne peuvent donc pas être considérés comme représentatifs de la consommation de E968 par la population générale.

Enfin, les chercheurs ont effectué une étude de supplémentation chez huit volontaires sains. Le design expérimental est le suivant : une supplémentation unique de 30 g de E968, puis une mesure de la cinétique d’apparition du E968 dans le plasma des volontaires. Les chercheurs montrent des concentrations plasmatiques cohérentes avec le corpus scientifique, mais surtout dans des valeurs équivalentes aux doses utilisées dans l’étude in vitro décrite plus haut. Selon les chercheurs, cette correspondance entre les doses suffit à suggérer que le E968, consommé à hauteur de 30 g, provoquerait des effets cardiovasculaires délétères. La validité du raisonnement est pourtant douteuse. Mais surtout, le protocole d’étude clinique, tel qu’enregistré sur le site ClinicalTrials.gov, montre que ce sont 40 volontaires (et non 8) qui ont été inclus dans l’étude ; et que les chercheurs étaient censés mesurer des paramètres biologiques en lien avec l’agrégation plaquettaire, suite à la consommation de E968. Dans la publication, les chercheurs affirment que les 8 volontaires faisaient partie d’une sous-étude visant simplement à étudier la cinétique d’apparition du E968 ; et que l’agrégation plaquettaire sera mesurée chez les 32 autres volontaires, ne faisant pas l’objet de la présente publication. Cette explication laisse perplexe : il n’est pas censé y avoir de différence entre le protocole clinique tel qu’enregistré, et les données qui sont par la suite publiées. A tout le moins, si les données d’agrégation plaquettaires vont dans le sens de l’hypothèse des auteurs, l’on s’attendrait à ce qu’elles figurent dans la publication.

 

En fin de compte, l’étude soulève plus de questions (et pas des moindres) qu’elle n’apporte de réponses. L’hypothèse d’un effet cardiovasculaire du E968 doit être mise au regard des études de toxicologie passées en revue par l’EFSA et le JECFA au début des années 2000, et au début des années 2010 : ces études n’avaient détecté aucune anomalie sur le plan cardiovasculaire. Dès lors, ces études sont-elles passées à côté de quelque chose ? Ou bien l’hypothèse d’effets délétères du E968 sur le plan cardiovasculaire est-elle fausse ? Les deux options sont possibles. Dans l’immédiat, plus de données sont en tout cas nécessaires, à commencer par les données d’agrégation plaquettaire concernant les 32 volontaires manquants.

 

The artificial sweetener erythritol and cardiovascular event risk.

Article publié le 27 février 2023 dans Nature Medicine.

Lien (accès restreint) : https://doi.org/10.1038/s41591-023-02223-9