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La viande cultivée est souvent présentée comme une innovation, capable de transformer notre système alimentaire en réduisant l’impact environnemental de la production de viande tout en répondant aux préoccupations liées au bien-être animal. Cependant, à mesure que la recherche avance et que les premières entreprises se rapprochent d’une production à grande échelle, plusieurs limites et incertitudes émergent.

L’objectif de cette revue est d’analyser et discuter les promesses de la viande cultivée, en s’appuyant sur les données les plus récentes, notamment en matière d’impact environnemental, de viabilité économique, de qualité nutritionnelle et d’acceptabilité par les consommateurs.

Défis techniques et mise à l’échelle

Produire de la viande cultivée en laboratoire est une prouesse technologique, mais la transition vers une production industrielle pose de nombreux défis. Actuellement, les installations capables de produire de la viande cellulaire à grande échelle sont encore inexistantes, et les estimations des coûts de production à terme varient entre 25 et 63 $/kg, bien au-delà du prix de la viande. Le Good Food Institue estime qu’il faudrait réduire par 1 000 les couts de production pour que l’industrie soit compétitive.

Deux des principaux obstacles sont la mise au point d’un milieu de culture efficace et abordable et la nécessité de maintenir un environnement stérile sur de longues périodes. La mise en place de processus industriels nécessitera donc des infrastructures coûteuses et des protocoles rigoureux, similaires à ceux utilisés dans l’industrie pharmaceutique.

Défis réglementaires et d’étiquetage

À ce jour, seuls quelques pays ont autorisé la commercialisation de la viande cultivée : Singapour, les Etats-Unis, Israël et Hong Kong. L’Union européenne, quant à elle, impose un cadre réglementaire strict, notamment sur les organismes génétiquement modifiés. L’un des enjeux majeurs concerne la sécurité sanitaire de ces produits. 

L’étiquetage de la viande cultivée suscite également des débats. Plusieurs pays, dont la France, envisagent d’interdire l’utilisation du terme « viande » pour ces produits, arguant que cela pourrait induire les consommateurs en erreur. Cette question est d’autant plus complexe que la plupart des viandes cultivées actuellement sur le marché sont en réalité des produits combinant des cellules cultivées et des ingrédients végétaux.

Impact environnemental

Les analyses de cycle de vie (ACV) montrent que l’impact environnemental de la viande cultivée dépend fortement de l’énergie utilisée. Si elle réduit l’utilisation des terres et limite les émissions de méthane, sa production est extrêmement énergivore. Les ACV récentes indiquent que, sans recours aux énergies renouvelables, son empreinte carbone pourrait être supérieure à celle du bœuf en raison de la forte consommation électrique des bioréacteurs.

Pour améliorer son bilan environnemental, il est essentiel d’optimiser les procédés de production et de privilégier des sources d’énergie bas-carbone. Sans une transition vers des énergies renouvelables, la viande cultivée pourrait ne pas être plus durable que la viande conventionnelle, soulevant ainsi des doutes sur son rôle dans la transition alimentaire.

Défis nutritionnels

La viande cultivée est souvent décrite comme une alternative offrant les mêmes bénéfices nutritionnels que la viande conventionnelle, mais cette affirmation est loin d’être prouvée. À ce jour, peu d’analyses complètes de sa composition nutritionnelle sont disponibles.

Un des points clés concerne la vitamine B12. Les cellules musculaires cultivées en laboratoire ne contiennent pas de B12 à moins qu’elle ne soit ajoutée artificiellement. Cela soulève la question de la biodisponibilité de cette vitamine dans la viande cultivée et de la nécessité d’une supplémentation ciblée.

Un autre enjeu réside dans la composition lipidique. Les cellules musculaires cultivées seules ne produisent pas d’acides gras essentiels en quantité suffisante, ce qui impose soit l’ajout de cellules adipeuses cultivées séparément, soit l’intégration d’huiles végétales dans la formulation finale.

Enfin, la qualité des protéines doit être étudiée plus en détail. Les méthodes classiques d’évaluation de la digestibilité des protéines, comme le score DIAAS, n’ont pas encore été appliquées aux produits issus de la culture cellulaire.

Perception des consommateurs et acceptabilité sensorielle

Si la viande cultivée parvient à surmonter ses défis techniques et économiques, son succès dépendra largement de l’acceptation des consommateurs. À ce jour, les enquêtes montrent une méfiance importante vis-à-vis de cette innovation. L’une des principales barrières réside dans la perception de la viande cultivée comme un produit artificiel. Le choix des termes pour désigner ces produits joue un rôle clé : les consommateurs réagissent plus favorablement aux expressions comme « viande propre » ou « viande sans animaux » qu’aux termes « viande de laboratoire » ou « viande cultivée ».

Le goût et la texture restent également des défis. Peu de tests sensoriels ont été réalisés avec de véritables produits de viande cultivée, et les rares études disponibles montrent que les premières versions manquent souvent de la tendresse et des saveurs caractéristiques de la viande traditionnelle. L’amélioration des procédés de culture et l’ajout d’ingrédients spécifiques seront essentiels pour rendre ces produits plus attrayants.

Conclusions et perspectives

La viande cultivée représente une avancée technologique majeure, mais son adoption à grande échelle est loin d’être acquise. Si elle offre des opportunités en matière de durabilité et de bien-être animal, plusieurs obstacles demeurent. Son coût de production, son empreinte énergétique et ses incertitudes nutritionnelles rendent difficile une adoption massive à court terme.

L’avenir de cette technologie dépendra de plusieurs facteurs : la transition vers des sources d’énergie renouvelables, l’optimisation des procédés de production, la régulation du marché et l’évolution des préférences des consommateurs. Pour l’instant, la viande cultivée reste une solution complémentaire parmi d’autres dans la recherche d’un système alimentaire plus durable.

 

« Reassessing the sustainability promise of cultured meat: a critical review with new data perspectives »

Article publié le 21 février 2024 dans Critical Reviews in Food Science and Nutrition

Lien (article en accès libre) : https://doi.org/10.1080/10408398.2025.2461262

Photos d’illustration issues de la banque d’images Flickr. Crédit : Ivan Radic