En guise de rappel, que recouvrent les termes « oxydation » et « stress oxydant » ? (voir aussi la LIV[e] Nutrition & Santé n°06)
Lors des réactions intervenant sur la chaîne respiratoire mitochondriale, dans les conditions physiologiques, une petite partie des électrons réagit avec de l’oxygène libre et forme des espèces oxygénées activées (EOA, ou ROS en anglais), parmi lesquelles des radicaux libres (anion superoxyde O2 •-, radical hydroxyle OH•) et des molécules comme le peroxyde d’hydrogène (H2O2) ou l’oxygène singulet (1O2). Si ces composés ont un intérêt dans certaines réactions physiologiques (enzymatiques, immunitaires…), une surproduction peut les amener à réagir avec certains tissus comme les lipides, les protéines et l’ADN, leur causant des dommages. Pour l’Anses, et par déduction, le terme d’antioxydant désigne « les molécules qui limitent, préviennent ou suppriment les dommages oxydatifs des cellules causés par des radicaux libres » (Anses, 2008). L’organisme dispose d’un système antioxydant endogène mais bénéficie aussi des apports alimentaires en molécules antioxydantes. Le « stress oxydant » se définit comme étant un déséquilibre de la balance entre la production l’EOA et les systèmes de défenses antioxydantes, en faveur des EOA (Sies, 1991). Ce stress oxydant est considéré à l’heure actuelle comme l’un des plus importants facteurs du vieillissement et du développement de maladies inflammatoires comme les maladies cardio-vasculaires, le diabète, les maladies neurodégénératives ou encore le cancer.
En quoi couleur et nutrition sont-elles liées ?
Les fruits et légumes, en particulier, sont de grands vecteurs de composés antioxydants. Parmi ceux-ci, se retrouvent bien sûr les vitamines (A, C, E) mais aussi des pigments antioxydants, notamment des polyphénols. Ces pigments peuvent être classés de la façon suivante :
- La chlorophylle ;
- Les caroténoïdes (carotènes et xanthophylles), parmi lesquels le β-carotène, la lutéine, la zéaxanthine, la canthaxanthine, le lycopène ;
- Les flavonoïdes, dont les anthocyanines, la quercétine, et d’autres polyphénols comme le resvératrol.
Elles sont antioxydantes car elles ont la propriété de s’oxyder, c’est-à-dire de se lier avec des EOA. L’oxydation de ces aliments n’est pas souhaitable car elle est un signe de leur dégradation et peut diminuer leurs qualités organoleptiques ; en revanche, l’oxydation de ses composants une fois ingérés soutient l’action antioxydante de l’organisme. Attention, il faut garder à l’esprit que comme pour tous les nutriments, un excès d’antioxydants peut à terme avoir un effet néfaste (effet « pro-oxydant », influence négative sur le système antioxydant endogène).
Quelles sont les spécificités liées à ces différents pigments ? Ont-ils des fonctionnalités différentes ?
Il est intéressant de constater que la diversité des couleurs est en rapport avec la diversité des effets constatés en termes de santé. Ainsi, la lutéine et la zéaxanthine, deux caroténoïdes jaunes issus principalement des légumes verts (épinard, brocoli, persil…) et du jaune d’œuf, sont connues pour leur activité antioxydante au niveau de la vision, en prévention de la cataracte et de la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge) notamment. Une étude cas-témoins multicentrique sur les maladies oculaires, impliquant 5 centres ophtalmologiques aux Etats-Unis, a ainsi montré qu’un apport alimentaire plus élevé en caroténoïdes, en particulier en lutéine et zéaxanthine, était associé à un risque réduit de DMLA. Des études récentes ont également montré qu’une concentration plasmatique élevée de lutéine et de zéaxanthine réduisait d’environ 41 % le risque de cataracte liée à l’âge chez les Finlandais âgés (Abdel-All et al.). D’autre part, des travaux ont mis en évidence une association inverse entre un apport élevé en lutéine et/ou des taux sériques plus élevés et un risque de cancer du poumon, alors que cela n’a pas été reporté pour d’autres types de cancers (Granado et al.). Le β-carotène, un autre caroténoïde qui est le précurseur majeur de la vitamine A dans l’alimentation humaine, est plutôt connu pour son intérêt dans la protection de la peau. Des études sur l’utilisation systémique du β-carotène démontrent que 15 à 30 mg / j sur une période d’environ 10 à 12 semaines produit un effet protecteur contre l’érythème induit par les UV, plus communément appelé « coup de soleil ». La supplémentation en caroténoïdes contribue à la protection basale de la peau mais n’est pas suffisante pour obtenir une protection complète contre d’importants rayons UV (Godic et al.). En revanche, le Fonds mondial de recherche contre le cancer (WCRF) et l’American Institute for Cancer Research (AICR), rappellent que la consommation de compléments alimentaires à base de β-carotène à forte dose favorise la survenue de cancer du poumon et de l’estomac chez les sujets à risque (en particulier, les fumeurs et les personnes exposées à d’autres polluants) (WCRF/AICR). Les principales sources alimentaires de β-carotène sont les légumes orange comme la carotte, la patate douce, le potiron, et les légumes verts (épinards, brocoli…).
Le lycopène, qui se trouve dans la tomate et la pastèque, entre autres, a la particularité d’être rendu plus biodisponible par la cuisson. Le concentré ou la poudre de tomate sont donc des sources de choix de ce carotène. C’est dans le cadre de la prévention du cancer de la prostate que le lycopène a montré le plus grand intérêt : des concentrations plus élevées de lycopène dans l’alimentation et dans le sang sont inversement associées au risque de cancer de la prostate. Une méta-analyse sur 42 études a ainsi révélé un lien dose-réponse linéaire significatif entre le lycopène alimentaire et le risque de cancer de la prostate, de sorte que le risque diminue de 1 % pour chaque tranche supplémentaire de 2 mg de lycopène consommée, une relation similaire étant observée lorsqu’il est question du lycopène circulant (Rowles et al.). Dans le domaine des maladies cardiovasculaires, les données disponibles sur les effets d’une supplémentation en produits à base de tomate et en lycopène sur les facteurs de risque cardiovasculaires corroborent l’opinion selon laquelle augmenter leur consommation aurait des effets positifs sur les lipides sanguins (réduction du cholestérol LDL), la pression artérielle, la fonction endothéliale et certains facteurs d’inflammation (Cheng et al.). Les anthocyanines représentent une famille de pigments bleus, rouges ou violets présents dans le chou rouge ou encore sur la peau des baies et fruits les plus sombres (raisin noir, mûres…). Des bénéfices dans la prévention de nombreuses maladies comme les maladies cardio-vasculaires, les cancers, le diabète, d’autres maladies métaboliques ou encore les infections microbiennes ont été suggérés pour les membres antioxydants divers et variés de cette famille. Ils sont également valorisés pour leur capacité à améliorer l’acuité visuelle et leur effet neuroprotecteur. Cependant, leur biodisponibilité faible (et très variable selon la forme, aglycone ou non) fait qu’une grande partie des anthocyanines se trouve finalement excrétée dans les urines et les fèces (Khoo et al.). La chlorophylle, enfin, n’est pas un polyphénol. C’est le pigment le plus abondant du règne végétal puisqu’elle permet la photosynthèse, et est particulièrement présente dans les légumes feuilles verts comme les épinards. La chlorophylle a la particularité d’être un analogue végétal de l’hémoglobine, avec comme différence majeure la présence d’un ion central de magnésium au lieu de l’ion fer. C’est la raison pour laquelle ce pigment fait depuis très longtemps (depuis les années 1920-1930) l’objet de recherches quant à son utilisation en tant que substitut de l’hémoglobine chez les personnes déficientes (anémie, thalassémie). Ainsi, dans une étude clinique au cours de laquelle on administrait quotidiennement du jus d’herbe de blé (70 % de chlorophylle) à des patients thalassémiques, les conclusions suivantes ont été tirées :
- 50 % des patients ont présenté une réduction des besoins en transfusion pouvant atteindre 25 % ;
- L’intervalle de temps moyen entre les transfusions a augmenté, jusqu’à + 29,5 % ;
- Les niveaux d’hémoglobine n’ont pas été compromis par la réduction des volumes de transfusion ;
- Les patients ont rapporté un meilleur bien-être général, une amélioration de l’appétit et une réduction des douleurs musculo-squelettiques (Padalia et al.).
D’autre part, la chlorophylle a montré des effets intéressants dans la prévention de l’hyperprolifération cellulaire liée à l’hème, promotrice du cancer du côlon (De Vogel et al.). Cette conclusion a été valorisée par la recommandation de santé publique de consommer des légumes verts en accompagnement de la viande rouge, afin de limiter les effets délétères du fer notamment.
Qu’en est-il de la couleur du saumon ? D’où vient-elle ?
La couleur de certains aliments a été « artificiellement » rendue plus soutenue pour donner une appétence supplémentaire. C’est le cas par exemple du saumon dont les variétés d’élevage ont généralement une teinte plus rosée que le saumon sauvage, grâce à leur alimentation enrichie en astaxanthine issue de la microalgue Haematococcus pluvialis (ou de synthèse), qui imite celle apportée par les crustacés consommés par les poissons à l’état sauvage. Si cet enrichissement se fait majoritairement dans le but d’attirer le consommateur, une chair plus orangée étant pour lui synonyme d’une meilleure qualité, il est intéressant de constater que les saumons dont l’alimentation contient une certaine quantité d’astaxanthine (60 mg / kg d’aliment) grossissent plus et survivent mieux. Consommée par les humains, la chair de salmonidés (saumon, truite) est le principal contributeur alimentaire aux apports en astaxanthine (Baker & Günther). Par ailleurs, la présence de lipides dans la matrice, comme c’est le cas de la chair des salmonidés, riche en acides gras polyinsaturés oméga-3, favorise la biodisponibilité de l’astaxanthine ainsi que celle de tous les caroténoïdes.
Comment cette variété de bénéfices est-elle valorisée ? (voir LIV[e] Nutrition & Santé n°130)
Certains programmes de santé publique, sur le modèle du PNNS et de son slogan « 5 fruits et légumes par jour », vont plus loin et recommandent de consommer des fruits et légumes de différentes couleurs afin de bénéficier de bienfaits multiples. C’est le cas par exemple du Guide alimentaire canadien, qui suggère de consommer « au moins un légume vert foncé et un légume orangé par jour », parmi les 8 portions quotidiennes recommandées.
Du côté de la BANT (British Association for Nutrition and Lifestyle Medicine), c’est le concept d’ « arc-en-ciel » avec le slogan « EAT A RAINBOW » qui a été développé pour promouvoir la consommation d’une grande variété de fruits et légumes (2 fruits et 5 légumes au moins par jour) : Enfin, l’organisme de promotion des fruits et légumes en Nouvelle-Zélande, équivalent d’Aprifel en France, valorise également la diversité des légumes produits dans le pays par le biais d’une série de posters promotionnels sur le thème « Eat your colours » : En France, le PNNS ne s’est pas encore réellement saisi de la question du type de fruits et légumes consommés. Si le proverbe dit qu’ « une pomme par jour éloigne le médecin », il semble qu’en réalité cela ne soit pas suffisant pour accéder à l’ensemble des bénéfices santé apportés par la consommation d’une variété de fruits et de légumes de couleurs différentes.
Synthèse réalisée par Clarisse LEMAITRE Consultante, FOODINNOV NUTRITION
Sources :
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Anses (2009). AVIS de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments relatif à la demande d’évaluation des effets pro-oxydants de la vitamine C.
Baker, R., & Günther, C. (2004). The role of carotenoids in consumer choice and the likely benefits from their inclusion into products for human consumption. Trends in Food Science & Technology, 15(10), 484–488. doi:10.1016/j.tifs.2004.04.0094
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