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Virages à 180°C en allergologie

Comment ne pas être dérouté par les virages pris ces 10 dernières années au niveau des recommandations faites aux patients allergiques ? On leur a tout d’abord prescrit, peut-être « dans la panique », des régimes d’éviction très stricts, angoissants et faisant obstacle à leur vie sociale.

Aux futures mères d’enfants dits « à risque » (c’est-à-dire avec un parent, un frère ou une sœur allergiques), on a recommandé l’éviction de l’arachide pendant toute la grossesse, l’allaitement et la petite enfance du bébé, avec une diversification tardive (après 6 mois) et plus complexe à mener : introduction retardée de certains aliments comme l’œuf, les fruits à coques, le poisson, les crustacés, le céleri, le kiwi. Le «lait» infantile utilisé devait être de préférence hypoallergénique pendant au moins 6 mois, les préparations à base de protéines de soja étaient déconseillées avant cet âge… Autrement dit, une bonne « prise de tête » pour des parents un tant soit peu avertis sur le sujet ! Ces recommandations figurent encore dans les guides officiels du PNNS.

Or elles sont plutôt dépassées, comme vous le découvrirez dans l’interview qui suit. Comme souvent, il faut du temps pour que les dernières avancées scientifiques soient transposées dans la pratique médicale courante. Car si les lignes commencent à bien bouger chez les allergologues, qui suivent une riche actualité scientifique, les jeunes enfants sont suivis par des généralistes et des pédiatres, qui eux, n’ont pas toujours eu vent des nouvelles données scientifiques relatives à cette spécialité (enfin en voie de reconnaissance), et prodiguent des conseils parfois inadéquats.

Il est pourtant urgent de trouver des moyens pour prévenir les allergies. Qu’elles soient respiratoires, cutanées ou alimentaires, elles ont fortement progressé dans les pays industrialisés : aujourd’hui, une personne sur cinq dans le monde en souffrirait. L’OMS classe les maladies respiratoires chroniques – dont l’asthme – au 3ème rang des maladies non transmissibles les plus problématiques (7 % des décès), juste derrière les maladies cardiovasculaires et les cancers. L’Organisation vise une réduction de 25 % des décès causés par ces pathologies d’ici 2025, mais ses prévisions sur l’allergie ne sont pas optimistes : d’ici 2050, la moitié de la planète serait concernée.

Céline LE STUNFF,
Consultante LRBEVA NUTRITION

Interview

L'allergie alimentaire chez l'enfant

Pouvez-vous rappeler, en introduction, ce qu’est une allergie alimentaire ?

Une allergie alimentaire est une réaction immunitaire intervenant après la consommation d’aliments. Elle est à dissocier des intolérances, qui ne mettent pas en jeu de mécanisme immunitaire.

On distingue aujourd’hui deux types d’allergies alimentaires :

  • les allergies immédiates, médiées par les anticorps IgE. Les symptômes varient selon les individus et les quantités ingérées : éternuements, urticaire, asthme, œdème… Ce sont les plus sévères car elles sont potentiellement létales (choc anaphylactique, œdème de Quincke).
  • les allergies retardées, médiées par les cellules lymphocytaires T. Elles sont moins connues que les précédentes mais on en parle de plus en plus car elles entraînent des problèmes de santé chroniques : dermatite atopique, gastrites, colopathies ou encore œsophagites. Ces dernières, par exemple, peuvent expliquer que certains enfants mangent très peu ou pas : le refus de s’alimenter n’est pas un « caprice », mais traduit la douleur éprouvée lors de l’ingestion à cause de l’inflammation.

Ces allergies peuvent être diagnostiquées à l’aide de tests cutanés et/ou sérologiques, qui indiquent une sensibilisation (présence d’anticorps dirigés contre l’allergène testé). Le diagnostic d’allergie est posé en cas de réaction accidentelle ou lors de tests de provocation réalisés sous contrôle médical.

Quelle est la prévalence de l’allergie alimentaire au sein de la population pédiatrique ?

Les chiffres varient selon les sources ; le problème est que la plupart des données existantes provient de questionnaires et repose donc sur des déclarations. Or on sait que beaucoup de personnes « s’autoproclament » allergiques sans que cela soit vérifié. En France/Europe l’allergie alimentaire concernerait 4 à 6 % de la population pédiatrique (<15 ans).

Quels sont les aliments allergènes les plus problématiques pour l’enfant ?

Les aliments les plus problématiques pour les enfants sont le lait, l’œuf, le poisson, l’arachide et les fruits à coque (FAC) :

  • soit parce que l’éviction de ces aliments est particulièrement complexe du fait qu’ils se retrouvent en tant qu’ingrédients dans beaucoup de recettes/produits transformés (cas du lait et de l’œuf par exemple),
  • soit parce qu’ils provoquent des réactions sévères sur de très faibles quantités (cas de l’arachide et des FAC),
  • soit parce que l’allergie à ces aliments a tendance à persister dans le temps (cas de l’arachide et du poisson, alors que celles au lait et à l’œuf ont tendance à disparaître spontanément vers 2 et 4/5 ans respectivement).

Ces 5 aliments ou groupes d’aliment sont à l’origine de 75% des réactions chez l’enfant (Efsa, 2014).

Y a-t-il des régimes alimentaires ou des supplémentations ayant un effet protecteur par rapport aux allergies ?

Les dernières études indiquent que les régimes trop stricts ne sont probablement pas la meilleure des voies pour « guérir » de ces allergies, cela les ferait au contraire plutôt persister dans le temps. Si les patients tolèrent de petites doses, il faut essayer de leur faire acquérir petit à petit une tolérance à des quantités croissantes. Sauf exceptions, nous ne déconseillons pas les aliments contenant des « traces », ni même l’huile d’arachide. L’hyper-précaution avec les régimes d’éviction stricts pratiqués jusqu’ici serait plus délétère qu’autre chose ! Entre autres, une étude britannique a montré que l’exposition précoce des enfants à l’arachide pouvait éviter le développement de cette allergie (Du Toit 2008).

Les études concernant l’effet protecteur ou non de l’allaitement maternel sont contradictoires. Une étude italienne très récente (Turati 2016), ayant impliqué plus de 800 nourrissons, a mis en évidence que le sevrage précoce (introduction d’aliments solides vers 4 ou 5 mois) avait un effet protecteur vis-à-vis de la dermatite atopique, comparé à un allaitement maternel exclusif prolongé. Cet effet n’a pas été observé avec un allaitement non-exclusif.

Les conseils de diversification tardive prodigués par le passé ne sont donc plus d’actualité. Et on ne fait plus de distinction dans les recommandations entre les enfants dits « à risque » (parent ou frère/sœur allergique) et les autres.

Certains facteurs environnementaux protègent-ils des allergies ?

Un certain nombre de facteurs environnementaux sont corrélés à une moindre prévalence des allergies en général : une place reculée au sein de la fratrie, le fait de fréquenter une collectivité/crèche, de vivre à la campagne (au milieu d’animaux, dans un milieu moins « aseptisé »), d’être davantage confronté aux maladies infantiles (que combattent l’hygiène, les antibiotiques et les vaccinations) seraient des facteurs protecteurs.

Ceci est à englober dans ce que l’on appelle la « théorie hygiéniste », que de plus en plus d’études semblent corroborer : la moindre exposition aux agents infectieux pendant l’enfance engendrerait une stimulation insuffisante du système immunitaire, qui, inoccupé, se réorienterait vers les allergènes.

Le rôle du microbiote s’avérerait crucial, de nombreuses observations associant allergies et asthme avec une dysbiose intestinale. Mais des études robustes manquent encore pour recommander par exemple des supplémentations en certains probiotiques (West 2016). Nous en commençons une prochainement avec le CHU de Nantes et l’Inra, qui visera à mesurer l’intérêt d’apporter en continu une même souche chez la mère puis chez le nourrisson.

A l’inverse, y a-t-il des facteurs déclenchant la sensibilisation?

Des observations récentes ont montré que la voie cutanée était une excellente voie de sensibilisation. A titre d’exemple, une véritable épidémie de cas d’allergies alimentaires immédiates a été décrite chez plus de 2 000 patients au Japon qui utilisaient un savon contenant un hydrolysat de blé ! La plupart présentaient aussi un urticaire de contact en utilisant le cosmétique en question (Nakamura 2016).

Certains auteurs indiquent par ailleurs que l’une des stratégies de prévention possibles réside sans doute dans la préservation de la fonction barrière de la peau des bébés : celle-ci, agressée et desséchée par des savons et détergents divers, pourraient en effet laisser passer les allergènes et favoriser les sensibilisations (Allen 2016).

Pouvez-vous expliquer le principe des protocoles de désensibilisation chez l’enfant ?

La désensibilisation se pratique couramment aujourd’hui et affiche de bons résultats ; elle ne donne que rarement lieu à des réactions, la prudence étant de mise. Le principe est d’exposer l’enfant à des petites quantités que l’on augmente progressivement par paliers, tous les mois (si l’allergie est sévère les paliers se font à l’hôpital, sinon à domicile avec un suivi téléphonique étroit). Il ne faut pas d’interruption de consommation de l’aliment pendant toute la période, qui s’étale généralement de 6 mois à 1 an : le patient doit en manger au minimum 2 à 3 fois par semaine. C’est facile pour le lait, l’œuf et le blé, moins évident pour d’autres aliments comme l’arachide par exemple, d’autant plus que les enfants développent souvent un dégoût pour l’aliment auquel ils sont allergiques ! Ils doivent donc être particulièrement volontaires pour suivre de tels protocoles.

La désensibilisation peut être pratiquée pour tout aliment, mais il est vrai que certaines allergies sont plus « rebelles », comme celle au lait de vache par exemple.

En quoi consistait le projet Manoé, dans lequel vous avez été impliquée ?

Le programme MANOE (Maîtrise Allergènes NutritiOn Enfants), co-labellisé par Valorial et Nova Child, avait pour objectif de développer des produits alimentaires grand public tolérés par la plupart des enfants allergiques. Il a démarré en 2010 et s’est terminé en 2015. Il s’organisait autour de 4 volets :

  • un volet industriel visant à maîtriser la teneur en allergènes dans les produits alimentaires,
  • un module analytique afin de tester les méthodes de détection des allergènes et à les optimiser,
  • un module clinique permettant d’évaluer la tolérance d’enfants allergiques à de petites doses d’allergènes,
  • un module consommateur ayant pour but de cerner les connaissances et les croyances des familles d’enfants allergiques.

Le module clinique a impliqué 12 centres et 4 types de populations allergiques : à l’arachide, à l’œuf, au lait et au blé (manque de patients sur ce dernier groupe en revanche). Le but était de permettre aux enfants de consommer progressivement de petites doses d’allergène et de lever des régimes trop stricts. Sur les 99 enfants sévèrement allergiques à l’arachide, 71 ont finalement pu tolérer une dose cumulée de 100 mg, tandis que 28 n’ont pas pu atteindre cette dose (qui représente l’équivalent d’un quart de cacahuète). La bonne nouvelle, c’est que tous ont largement pu tolérer ce que les industriels appellent des « traces », c’est-à-dire quelque ppm.

Quelles sont les voies de recherche les plus prometteuses? 

Les recherches tourneront probablement beaucoup autour de la conduite de la diversification et du sevrage (introduction précoce des aliments solides), de la désensibilisation, de l’intérêt des pré- et probiotiques agissant sur le microbiote pour la prévention voire le traitement des allergies.

Par ailleurs, je crois qu’une attitude plus raisonnée vis-à-vis du risque allergique, un discours ambiant moins « alarmiste », bénéficierait aussi aux patients, qui pour la plupart peuvent consommer des « traces » sans prendre de risque.

Propos recueillis par Céline LE STUNFF,
LRBEVA NUTRITION.

Pour en savoir plus

  • Allen KJ, Koplin JJ (2016). Prospects for Prevention of Food Allergy. J Allergy Clin Immunol Pract. 2016 Mar-Apr;4(2):215-20. www.ncbi.nlm.nih.gov
  • Efsa (2014). Scientific Opinion on the evaluation of allergenic foods and food ingredients for labelling purposes. EFSA Journal 2014;12(11):3894 *286 pp.+.www.efsa.europa.eu
  • Du Toit G, Roberts G, Sayre PH et al (2015). Randomized Trial of Peanut Consumption in Infants at Risk for Peanut Allergy. N Engl J Med 2015; 372:803-813, February 26, 2015.www.nejm.org,www.aaaai.org(=LEAP study)
  • Du Toit G, Katz Y, Sasieni P, et al (2008). Early consumption of peanuts in infancy is associated with a low prevalence of peanut allergy. J Allergy Clin Immunol 2008;122:984-991.www.ncbi.nlm.nih.gov
  • Nakamura M, Yagami A, Hara K et al (2016). Evaluation of the cross-reactivity of antigens in Glupearl 19S and other hydrolysed wheat proteins in cosmetics. Contact Dermatitis. 2016 Jun;74(6):346-52.www.ncbi.nlm.nih.gov
  • Prescott SL, Bouygue GR, Videky D, Fiocchi A (2010). Avoidance or exposure to foods in prevention and treatment of food allergy? Current Opinion in Allergy and Clinical Immunology, 10, 258-266.www.ncbi.nlm.nih.gov
  • Tscheiller S, Moneret-Vautrin A, Drouet M (2015). Synthèse des 150 cas d’anaphylaxies alimentaires sévères déclarées en 2014 au Réseau d’Allergo-Vigilance.www.allergyvigilance.org
  • Turati F, Bertuccio P, Galeone C et al (2016). Early weaning is beneficial to prevent atopic dermatitis occurrence in young children. Allergy. 2016 Jun;71(6):878-88.www.ncbi.nlm.nih.gov
  • West CE, Jenmalm MC, Kozyrskyj AL, Prescott SL (2016). Probiotics for treatment and primary prevention of allergic diseases and asthma: looking back and moving forward. Expert Rev Clin Immunol. 2016 Jun;12(6):625-39.www.ncbi.nlm.nih.gov

Lu pour vous

Global Update on Nutrition Labelling

Eufic, mai 2016, 250 €.

L’Eufic (Conseil Européen de l’Information sur l’Alimentation) fournit aux médias, aux professionnels et aux enseignants des informations sur la sécurité sanitaire, la qualité des aliments, la santé et la nutrition, en s’appuyant sur les recherches scientifiques et en veillant à ce que ces informations soient comprises par les consommateurs. Il est financé par l’industrie agroalimentaire et reçoit des fonds de la Commission européenne pour le financement de projets. L’organisation publie chaque année son rapport sur l’étiquetage nutritionnel, qui évoque :

  • Les principales initiatives sur ce sujet – récentes ou à venir – et le fonctionnement détaillé de celles-ci,
  • La position des différentes parties prenantes vis-à-vis de ces initiatives et les points qui font particulièrement l’objet de débats.

Cette synthèse globale et relativement complète expose ainsi la situation à date au niveau international, évalue les résultats des dernières recherches et expériences pratiques sur le sujet, met en évidence les tendances émergentes et les lacunes à combler (au niveau de la connaissance des consommateurs en particulier) et émet aussi des propositions d’actions et de recherches.

Des insectes au menu ? Ce qui va changer dans mon alimentation au quotidien

Vincent Albouy & Jean-Michel Chardigny, Editions Quae, juin 2016, 16 €, 168 p.

Des insectes à notre menu dans le futur : rumeur ou prévision crédible ? Un entomologiste et un spécialiste en nutrition s’associent pour faire le point sur les pratiques existantes et répondre aux questionnements : est-ce vraiment bon pour moi et pour la planète ? Est-ce antinature d’en manger ? Comment les élève-t-on ? Le constat est simple : augmentation de la population mondiale et de son niveau de vie, plafonnement des rendements agricoles, lutte accrue contre le changement climatique risquent d’entraîner une pénurie de protéines à l’horizon 2050. Les insectes seraient le meilleur moyen de résoudre le problème. Déjà consommés par 2 milliards de personnes dans le monde, ils cumulent de nombreux avantages : richesse en protéines, élevage facile et économe, bon rendement. Mais des freins peuvent remettre en cause leur présence à grande échelle dans nos assiettes en 2050 : blocage culturel, risques sanitaires, difficultés d’élevage et de règlementation… Écrit dans un style humoristique et accessible, cet ouvrage donne toutes les clés pour forger son opinion sur le sujet.

Salons & Évènements

ICHNFS 2016 : 18th International Conference on Human Nutrition and Food Sciences

15 et 16 septembre 2016, Rome (Italie)

http://www.waset.org

Université d'été de nutrition du CRNH Auvergne - La nutrition pour un mode de vie responsable

21 et 22 septembre, Clermont-Ferrand

http://www.univete-crnh-auv.fr

2ème colloque des objets connectés et applications de santé : Quelles conditions pour le développement du marché des OCS ?

4 octobre 2016, Dijon

http://www.ocsdijon2016.fr

Early Nutrition «The power of programming 2016» - International conference on developmental origins of adiposity and long-term health

13-15 octobre 2016, Munich (Allemagne)

http://munich2016.project-earlynutrition.eu

SIAL Paris - Salon International de l'Alimentation

Du 16 au 20 octobre 2016, Paris Nord Villepinte

http://www.sialparis.fr
VALORIAL

8, rue Jules Maillard de la Gournerie

35000 Rennes

France

Tél : +33 (0)2 99 31 53 05

Email : valorial@pole-valorial.fr

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