Créé en 2017, Protéines France est le consortium français d’entreprises ayant pour ambition de fédérer et de catalyser le développement des protéines végétales et nouvelles ressources. L’association, coordonnée par le pôle IAR, a pour but d’accélérer le développement du secteur des protéines végétales et nouvelles ressources et de faire de la France un leader mondial du domaine.
Pourquoi voit-on tant de nouveaux ingrédients protéiques arriver sur le marché ces dernières années ?
Mathilde JAUD (MJ) : La consommation de protéines végétales et provenant d’autres ressources alternatives à la viande est de plus en plus importante, pour des raisons environnementales, de santé et éthiques. Les protéines végétales se trouvent d’ailleurs au cœur de la stratégie nationale proposée ce mois-ci dans le plan de relance du gouvernement français (ndlr : plan pour développer la production sur le territoire de protéines végétales, doté de 100 millions d’euros sur 2 ans).
Guillaume DAOULAS (GD) : Et il y a une prise de conscience chez les consommateurs qui fait que des protéines autres que celles couramment consommées sont de plus en plus demandées : ils recherchent des aliments naturels, simples et sains, respectueux de l’environnement et du bien-être animal, une transparence sur l’origine… En ce sens, au-delà de solutions très technologiques, il est aussi intéressant de se pencher sur ce qui est largement consommé ailleurs dans le monde.
MJ : Oui, on note une forte attente en termes de santé. Une alimentation plus variée, en particulier sur le plan protéique, ne peut qu’aller dans ce sens. D’un point de vue global, il s’agit bien d’une diversification des sources et non d’une substitution.
Alice MEULLEMIESTRE (AM) : La production de protéines innovantes est une des clés pour faire face à la forte croissance démographique et au défi environnemental. Des solutions nutritionnelles sûres, saines et durables sont sources de développement économique pour les entreprises et sont indispensables pour répondre aux exigences des consommateurs.
Quel(s) changement(s) a engendré l’entrée en vigueur du Règlement (UE) 2015/2283 sur la mise sur le marché de nouveaux ingrédients protéiques ?
MJ : Il me semble important de rappeler que le premier règlement sur les nouveaux aliments (Règlement (CE) n°258/97 du 27 janvier 1997) avait déjà introduit la notion de demande préalable, et les nouveaux ingrédients protéiques étaient d’ores et déjà concernés par ce texte. Des protéines de colza, de pomme de terre et de luzerne, par exemple, ont été autorisées via ce règlement.
GD : Oui, mais c’est un peu différent pour les insectes par exemple, qui sont explicitement cités dans le règlement de 2015, mais ne l’étaient pas dans celui de 1997. Ils sont donc officiellement novel food depuis le 1er janvier 2018.
Patrice Ville (PV) : Globalement le nouveau règlement a permis de simplifier et d’assouplir la procédure : les demandes sont désormais centralisées au niveau de la CE, alors que dans l’ancien schéma on devait d’abord passer par une évaluation nationale.
Cette complexité avait pour effet de bloquer l’innovation. A ce jour, environ 200 dossiers (incluant des évolutions de spécifications ou de conditions d’utilisation) sont « dans les tuyaux ». Même si l’on constate une nouvelle dynamique depuis 2018 – date d’entrée en vigueur du nouveau règlement – peu de dossiers ont abouti, car un dossier d’application novel food reste une procédure relativement longue et difficile…
Dans le règlement, quand il s’agit de définir un nouvel aliment, est évoquée la notion de « modifications significatives de la compo-sition ou de la structure des denrées ». Qu’entend-on par-là ?
MJ : Ces modifications sont considérées comme significatives si le process génère des impacts nutritionnels (profil en acides aminés, nouvelles configurations de protéines pouvant entrainer une évolution du potentiel allergisant des protéines) ou des impacts sur le métabolisme (digestibilité, facteurs antinutritionnels).
PV : il faut aussi regarder de près la concentration éventuelle dans l’ingrédient de certains facteurs indésirables se trouvant dans la matière première. Au niveau de la concentration protéique elle-même, aucune position n’a encore été défendue par Protéines France devant les autorités françaises et européennes. Nous sommes encore en phase de préparation sur ce sujet et devrons aller en discuter dans un avenir proche, pour que des critères plus clairs soient définis et permettent d’aiguiller sur le caractère nouveau ou pas d’un ingrédient. Nous devons être force de proposition, comme cela a pu être le cas pour d’autres filières, par exemple la démarche conduite par l’association Natcol pour les ingrédients à fonction colorante.
Le novel food catalogue publié par la CE est-il à jour ? Quelle est sa valeur réglementaire ?
MJ : Le novel food catalogue en ligne sur le site de la CE peut en effet fournir des éléments de réponse quant au statut novel food ou pas d’un ingrédient, mais il n’est pas du tout exhaustif et n’a pas été mis à jour depuis un certain temps. Les autorités souhaitent faire évoluer son format mais n’ont pas encore décidé comment se présentera la prochaine version de cet outil.
PV : Effectivement le catalogue est loin d’être complet. Les plantes ont été beaucoup traitées, sans jamais être finalisées. Pour les microorganismes en revanche il n’y a pas grand-chose dedans… Globalement il faut retenir que le catalogue n’a pas de valeur réglementaire en lui-même, il n’est qu’un outil parmi d’autres pour évaluer le caractère novel food. Il n’existe pas de liste exhaustive de tout ce qui était consommé significativement dans les Etats membres avant 1997.
Qu’est-ce que la procédure de consultation (demande de statut) ?
PV : Jusqu’en 2018 beaucoup de questions étaient posées dans chaque Etat membre sur le caractère nouveau ou pas de certains ingrédients, et les réponses étaient souvent données de manière informelle. Au mieux, on obtenait une lettre des autorités compétentes qui permettait de clarifier la situation, sans toutefois que celle-ci ait une valeur incontestable car un autre Etat membre pouvait avoir une vision différente.
Aujourd’hui, à travers la procédure de consultation (Article 4 du nouveau règlement), le pétitionnaire dépose sa question à l’Etat membre de son choix, mais les Etats membres se concertent entre eux avant de rendre une décision, et celle-ci est rendue publique sur le site de la CE. Cela harmonise les décisions au sein de l’UE quant à la détermination du statut nouveau ou pas d’un ingrédient.
Les matières protéiques végétales (MPV)
Le Codex Alimentarius caractérise les MPV et fixe des normes en matière de teneur en protéines. Une norme générale est définie pour les extraits d’oléagineux, de légumineuses et de céréales. Des normes spécifiques s’appliquent aux matières protéiques de soja ainsi qu’au gluten de blé. Selon la norme générale, la teneur en protéines doit être supérieure ou égale à 40 % (sur l’extrait sec) pour que le produit ait droit à l’appellation MPV.
Le gluten de blé doit avoir une teneur minimale en protéines de 80 %.
Quant au soja, le pourcentage varie selon qu’il s’agit de farines (entre 50 et 65 % du poids sec), de concentrats (entre 65 % et 90 % du poids sec) ou d’isolats (au moins 90 % du poids sec).
En France, la présence de protéines végétales ne peut être mentionnée que quand leur taux est supérieur à 45 % de la matière sèche.
L’appellation « farine » est utilisée quand la teneur est comprise entre 45 % et 65 %
L’appellation « concentrat » nécessite un taux situé entre 65 % et 90 % pour le soja et entre 70 % et 90 % pour les autres sources.
L’appellation « isolat » implique un taux supérieur à 90 %.
Source: GEPV |
A la lecture des statuts publiés depuis 2018, pourquoi y a-t-il a priori si peu de consultations des Etats membres ?
PV : Cette procédure a demandé un peu de temps avant d’être réellement effective au niveau des Etats membres…
MJ : Effectuer une demande de statut, cela veut dire rendre plus ou moins publiques des informations stratégiques sur l’innovation conduite par l’entreprise. Cet élément rentre en ligne de compte quand il s’agit de gérer l’incertitude sur le statut d’un produit. Pour garder un temps d’avance en innovation, l’évaluation en interne du statut du produit est souvent privilégiée.
PV : Tout à fait, il convient de rappeler que la procédure de consultation n’est pas obligatoire. Certains opérateurs font le choix de mettre directement sur le marché et tiennent à disposition, en cas de contrôle, des éléments prouvant le caractère « non nouveau » de leurs matières premières. Par ailleurs, le résultat d’une demande de statut peut aussi ne pas être favorable…
MJ : Ce qui est dommage c’est que l’on ne connait pas la qualité des dossiers déposés pour une demande de statut. La décision est rendue par l’Etat membre, après consultation des autres, sur la base d’un dossier spécifique produit par un opérateur. Ce dossier peut conduire à une réponse négative s’il n’est pas bien étayé. Mais dans l’absolu, un autre dossier pour le même ingrédient ou aliment, qui serait mieux construit et plus étoffé, pourrait passer ! Il faut donc quand même prendre avec précaution les décisions de statut publiées.
Un historique de consommation de la source (et non de l’ingrédient lui-même) est-il suffisant pour prouver l’alimentarité d’un ingrédient ?
PV : Ce n’est pas parce que la source est « historiquement alimentaire », que l’ingrédient sera alimentaire ! Le caractère nouveau ou pas est le résultat d’un procédé appliqué à une matière première. Une matière novel food (NF) donnera systématiquement un ingrédient NF. Une matière non NF et un procédé nouveau qui entraîne des modifications significatives donnent systématiquement un ingrédient NF. Mais une matière première non NF et un procédé non NF peuvent quand même donner lieu à un ingrédient NF ! C’est véritablement le résultat de ce couple matière première x procédé qu’il faut regarder attentivement, et non la source en elle-même. Si rien de comparable à cet ingrédient n’a déjà été consommé, on sera bien dans le cas d’un NF.
MJ : Oui, et inversement, un isolat protéique – par exemple – ne tombe pas systématiquement sous le joug du règlement. Le facteur de concentration des protéines est certes important, mais des produits un peu moins concentrés ont pu être consommés avant 1997 et vont dans le sens d’un historique de consommation sûr.
PV : J’ajouterais que la notion de procédé nouveau n’est elle-même pas tout à fait claire non plus… Il n’existe pas de liste de procédés « traditionnels ».
N’est-il pas compliqué d’estimer les quantités de nouvelle protéine qui seront consommées ?
PV : Il s’agit de faire une estimation d’exposition à travers des conditions d’utilisation données, conditions qu’il faut donc parfaitement anticiper. Après c’est une analyse relativement classique. Les experts existent et utilisent des méthodologies bien connues désormais. Cela dit, il est vrai que certains outils proposés par l’Efsa tels que le FAIM sont peut-être difficilement exploitables dans certains cas (ndlr : le FAIM ou modèle d’absorption des additifs alimentaires sert à estimer l’exposition alimentaire chronique aux additifs présents dans l’alimentation. Il permet d’évaluer l’exposition moyenne et élevée pour différents groupes de population dans plusieurs pays européens).
Les études chez l’animal sont-elles incontournables pour prouver la sécurité du nouvel ingrédient ?
MJ : Aujourd’hui, à la lecture des guidelines détaillées de l’Efsa sur l’aspect toxicologique, il paraît difficile d’y échapper…
Quel est en moyenne le coût pour réaliser un dossier d’autorisation novel food ? Le délai ?
MJ : Généralement, il faut compter un budget de montage et suivi du dossier (en interne ou délégué à un cabinet expert), un budget analytique et surtout un budget pour les études de toxicité chez l’animal, particulièrement coûteuses (150 000 € à 200 000 €). Ce qui fait que l’on avoisine souvent les 300 000 € pour un dossier novel food. C’est une enveloppe très conséquente.
Le délai minimum est de 18 mois, mais dans les faits des délais additionnels s’ajoutent (demandes très fréquentes de compléments d’informations). Ceci peut paraître long, mais c’est beaucoup plus court qu’avec l’ancienne procédure, on gagne facilement 2 ans !
C’est certes plus long qu’un dossier GRAS (autorisation pour les USA), qui correspond cependant à une autre approche sécuritaire, faisant porter une responsabilité plus importante aux fabricants.
Quelles sont les particularités/adaptations du dossier selon le type d’ingrédient concerné ?
PV : Pour les levures, et les microorganismes en général, une attention très particulière est portée à la caractérisation des souches, l’approche sécuritaire étant spécifique à la souche. Nous devons par ailleurs effectuer un séquençage total du génome. Si la bactérie ou la levure utilisée est référencée dans la liste QPS (Qualified Presumption of Safety), l’Efsa considère que le microorganisme dispose d’un long historique d’utilisation sûre. Pour obtenir ce statut QPS, un microorganisme doit répondre aux critères suivants : identité taxonomique clairement définie ; corpus de connaissances disponibles suffisant pour établir sa sécurité ; absence de propriétés pathogènes établie et justifiée ; utilisation prévue clairement décrite.
MJ : Pour les protéines végétales, on portera une attention particulière à l’allergénicité. Cela est le cas, que l’on développe un ingrédient NF ou pas. Nous sommes toujours très attentifs à cet aspect, car dès lors qu’une protéine intègre la chaîne alimentaire, le niveau d’exposition de la population augmente, et avec lui, le risque d’apparition d’allergies. Nous scrutons également toutes les substances indésirables que l’on peut potentiellement retrouver dans l’ingrédient, car certaines substances sont éliminées via le process, et d’autres au contraire sont concentrées. Ces substances peuvent être des toxiques ou des facteurs antinutritionnels (composés chimiques qui interfèrent avec l’absorption des nutriments chez l’homme). Enfin la digestibilité sera également regardée, d’autant plus si l’on vise des applications du type nutrition spécialisée pour l’ingrédient.
GD : Concernant les insectes, nous avons la particularité d’être une filière très récente. Notre priorité est donc de mettre l’accent sur le respect absolu des conditions sanitaires applicables à tout élevage d’animaux. L’Ipiff (International Platform of Insects for Food and Feed) a par ailleurs rendu publics des documents d’orientation facilitant le montage des dossiers. Des points particulièrement importants pour les produits à base d’insectes, comme l’allergénicité ou l’écotoxicité, y sont abordés.
En conclusion, le cadre réglementaire du novel food vous semble-t-il adapté aux enjeux de la transition protéique ?
MJ : Ce n’est pas parfait, mais c’est déjà mieux que l’ancienne procédure ! Les délais d’évaluation sont inscrits, on part moins dans l’inconnu à ce niveau. L’Europe reste dans une approche avant tout de protection de la sécurité des consommateurs, c’est un parti pris, cela entraîne nécessairement la demande d’autorisations préalables à la mise sur le marché avec la constitution de dossiers très étayés pour aboutir à une commercialisation possible dans l’UE. Des précisions pourraient être apportées sur la partie nutritionnelle, celle-ci étant plutôt sous développée dans les guidelines comparée à la partie toxicologique.
Par ailleurs, nous restons dans l’attente de clarifications sur la détermination du statut novel food, pourquoi pas à travers des guidelines qui seraient plus spécifiques aux différents types d’ingrédients concernés : protéines végétales, microorganismes etc. On peut espérer aussi une plus grande transparence sur les procédures de consultation (avec plus de détails sur les carences des dossiers qui ne passent pas).
AM : L’association a justement mis en place un groupe de travail sur le sujet. Un outil d’aide à la décision sur la détermination du statut novel food est en cours de finalisation, ce qui aidera les industriels à classer leurs ingrédients.
Propos recueillis par Céline Le Stunff.
FOODINNOV NUTRITION
Pour aller plus loin :
– Association Protéines France : www.proteinesfrance.fr
– Agro-media.fr Ce que propose le Plan de Relance sur les protéines végétales. 14 sept. 2020. https://www.agro-media.fr
– CE. Webpages on Novel Foods : Legislation, Autorisation procedures, Consultation process, Novel food catalogue, E-submission. https://ec.europa.eu
– Efsa. Guidance on the preparation and presentation of an application for authorisation of a novel food in the context of Regulation (EU) 2015/2283. Efsa Journal 2016;14(11):4594. https://efsa.onlinelibrary.wiley.com
– Efsa. Administrative guidance on the submission of applications for authorisation of a novel food pursuant to Article 10 of Regulation (EU) 2015/2283. Technical Report. 2018. https://efsa.onlinelibrary.wiley.com
– Efsa. Applications helpdesk – Novel foods application procedure as of 1 January 2018. http://www.efsa.europa.eu
– Efsa. Présomption d’innocuité reconnue (QPS). https://www.efsa.europa.eu
– Efsa. Dossiers portant sur des ingrédients alimentaires : Outils. FAIM : Modèle d’absorption des additifs alimentaires. https://www.efsa.europa.eu
– Ipiff. Possible approaches to addressing data requirements for novel food applications for insects and insect-derived products in the EU. Summary version. 16 May 2018. https://ipiff.org
– Ipiff. Regulation (EU) 2015/2283 on novel foods. Briefing paper on the provisions relevant to the commercialization of insect-based products intended for human consumption in the EU. V.2. Brussels, August 2019. https://ipiff.org
– Règlement (UE) 2015/2283 du 25 nov. 2015 relatif aux nouveaux aliments. Version consolidée au 27/03/2021.
– Règlement d’exécution (UE) 2017/2469 du 20 décembre 2017 établissant les exigences administratives et scientifiques applicables aux demandes visées à l’article 10 du règlement (UE) 2015/2283.
https://eur-lex.europa.eu