Le terme « charcuteries » regroupe l’ensemble des préparations alimentaires à base de viande (de porc traditionnellement) crues ou cuites, caractérisées par l’utilisation de sel comme agent de conservation. Cependant, derrière ce terme unique se cache une grande variété de produits, différant tant par leur mode de préparation que leur composition. Cette diversité est illustrée par plus de 400 spécialités françaises (Fict, 2016).
Quelle place occupent les charcuteries dans les apports nutritionnels des Français ?
La place occupée par les charcuteries peut être décrite à deux niveaux : dans un premier temps, la quantité de charcuteries consommée, et dans un second temps, leur contribution aux apports nutritionnels.
Concernant la consommation, la place des charcuteries n’est pas si importante que l’on a coutume de le dire : il n’y a pas de surconsommation de charcuteries de façon générale, la médiane de consommation est de 28,6 g de charcuteries par jour (Afssa, 2009). Seuls quelques grands consommateurs en consomment en excès (environ 25 %).
D’un point de vue nutritionnel, les charcuteries contribuent à de nombreux apports : elles sont sources de lipides, de protéines, mais également de sodium, de fer, de zinc et de vitamines. Et contrairement à l’idée commune, elles ne contribuent qu’à faible échelle aux apports en matières grasses, car elles ne représentent que 7 à 10 % de l’apport lipidique.
Quels sont les nutriments d’intérêt des charcuteries ?
Les charcuteries sont intéressantes nutritionnellement parlant car elles apportent des protéines d’excellente qualité : contenant tous les acides aminés essentiels et de bonne biodisponibilité.
Elles sont également des sources non négligeables de vitamine A, de vitamines du groupe B, et de certains oligo-éléments comme le zinc et le fer.
Prenons l’exemple du fer pour lequel l’apport est insuffisant chez la moitié des femmes entre la puberté et la ménopause. Pour pallier ce déficit, des compléments alimentaires sont administrés alors qu’il serait moins coûteux pour la Sécurité sociale de « rembourser » le boudin noir qui permettrait de contribuer largement à ces apports insuffisants.
Ces points positifs sont cependant souvent éclipsés par les reproches faits aux charcuteries.
Quels sont-ils ?
Tout d’abord, les charcuteries sont montrées du doigt pour leur teneur en lipides. Or, au vu de la grande diversité de charcuteries existantes, il n’est pas possible de toutes les mettre dans le même panier sur ce point : par exemple, le jambon blanc est une charcuterie très maigre avec seulement 3 % de matières grasses, à l’inverse les rillettes apportant près de 40 % matières grasses (Anses, 2016). Et, globalement, les teneurs en lipides des charcuteries ont été diminuées. Il n’est donc pas envisageable de faire le même reproche à toutes les charcuteries.
Les charcuteries sont également visées pour leur teneur en sel, qui rappelons-le est indispensable à leur conservation. La consommation de sel est globalement excessive en France, c’est indéniable. Mais sur ce point également, toutes les charcuteries ne sont pas équivalentes ; pour reprendre l’exemple du boudin noir, il contient 4 à 5 fois moins de sel que le jambon sec.
Enfin, le cholestérol est un vieux débat qui avait été écarté et qui refait surface. En effet, on accuse les charcuteries de contribuer à l’hypercholestérolémie. Or, tout comme pour les lipides et le sel, les quantités sont très variables ; et, de surcroit, le rôle du cholestérol alimentaire sur la cholestérolémie sérique est très discuté, car il n’est pas le premier fautif.
Les problématiques présentées ne concernent pas toutes les charcuteries ; chacune des charcuteries a sa spécificité d’apport en vitamines et minéraux, ainsi aucune ne mérite d’être négligée.
L’Anses a abaissé les quantités recommandées pour les charcuteries, qu’en pensez-vous ?
Premièrement, les recommandations sont basées sur une médiane, ce qui signifie que la moitié de la population est en deçà des valeurs recommandées. Se baser sur la valeur médiane est un biais méthodologique fréquent, qui est également induit par le principe de précaution.
De plus, le fait de vouloir réduire la consommation de viandes, et donc de charcuteries, trouve son origine dans une étude menée dans les années 50 où il a été démontré que le régime crétois était celui où il y avait le moins de mortalité, par maladies cardio-vasculaires notamment (Allbaugh, 1953). La consommation de charcuteries dans le régime crétois était inférieure à celle du régime américain. et non du régime français. Or, les Français se sont appropriés ces recommandations, pourtant adaptées aux consommations américaines qui diffèrent de l’alimentation française tant par la quantité que par la qualité des produits consommés.
La consommation de charcuteries en France n’est pas supérieure à celle du régime crétois.
Les consommations qu’il faut chercher à réduire sont celles des surconsommateurs. Pour cela, il faudrait dans l’idéal, communiquer différemment selon les cibles : pouvoir distinguer les grands consommateurs du reste de la population. Mais bien sûr cela n’est pas si simple en termes de communication.
Alors que de nombreuses actualités vont à l’encontre des charcuteries (débat autour des nitrates, classification 1 par le CIRC.), existe-t-il des arguments en faveur – ou à défaut, qui ne portent pas préjudice – à leur consommation ?
Les actualités négatives sont très vite relayées, et parfois, sans prendre en compte l’ensemble des informations disponibles.
Par exemple, les nitrates utilisés dans les charcuteries ont fait l’objet de vives discussions. Ceux-ci sont accusés de favoriser le développement de cancers lorsqu’ils sont transformés en nitrosamines.
Néanmoins, les nitrites ont un rôle d’agent antimicrobien et de fixateur de couleur dans les charcuteries. Au-delà de ces rôles technologiques, il a été montré que ces substances pouvaient même avoir des effets bénéfiques pour la santé cardio-vasculaire. En 1998, le rôle de l’oxyde nitrique dans la protection face aux maladies cardio-vasculaires a fait l’objet d’un Prix Nobel (voir encadré). L’étude des nitrates n’aurait donc pas lieu d’être en toxicologie humaine. (Bourre et al, 2011).
De plus, on les incrimine dans les charcuteries, mais par exemple, certains légumes contiennent 5 fois plus de nitrates que les doses acceptées pour les eaux de consommation et pourtant on continue de recommander « Manger 5 fruits et légumes par jour », ce qui soit dit en passant, est une bonne chose.
De plus, les études montrant que la charcuterie augmente le risque de développer un cancer du côlon sont le fruit d’extrapolation. Il est vrai que les consommateurs de charcuteries, notamment par la présence importante de fer héminique, ont une prévalence plus importante de cancer du côlon (Bastide et al, 2015), cependant cette prévalence n’est pas attribuable à la seule consommation de charcuterie. Ces individus avaient globalement un régime alimentaire pauvre en fibres, qui sont reconnues pour leur effet protecteur face au développement de ce cancer. Les résultats sont donc à considérer dans leur ensemble, et non en désignant un seul coupable.
Y a-t-il des cibles plus « à risque » à la consommation de charcuteries ?
Il n’y a pas de cible plus à risque qu’une autre pour la consommation de charcuteries dans la mesure où le régime alimentaire global est adapté à l’individu, et où les portions sont adaptées à chacun, car bien sûr un enfant ne consommera pas autant de charcuterie qu’un homme adulte.
Certaines cibles sont cependant plus susceptibles de subir les conséquences d’une consommation excessive de charcuteries : les sur-consommateurs et les personnes atteintes de pathologies comme le syndrome métabolique. Cependant, ces dernières ne doivent pas seulement faire attention à leur consommation de charcuteries, mais à l’ensemble de leur régime alimentaire.
Dans votre livre Les aliments de l’intelligence et du plaisir, le chapitre premier s’intitule « Obligation biologique : être omnivore ». L’absence de viande serait-elle contre nature ?
De tout temps, l’Homme a consommé de la viande ; et même dans les plats traditionnels associant céréales et légumineuses (couscous, chili, etc.) de la viande est ajoutée pour contribuer aux besoins nutritionnels. Bien qu’il n’y ait pas autant de connaissances scientifiques qu’actuellement, nos ancêtres avaient déjà compris que la viande était nécessaire à notre alimentation et contribuait à notre bonne santé.
Vous vous positionnez contre le régime végétarien. Mais seriez-vous contre un régime sans charcuteries ?
Bien sûr ! Ce serait une absurdité et il n’y aurait aucun intérêt à un tel régime car les charcuteries font partie de la diversité des aliments. De plus, arrêter de consommer du jambon blanc pour le remplacer par une entrecôte beaucoup plus riche en matières grasses par exemple, serait un non-sens.
Et pourtant dans un contexte de développement de maladies liées à l’alimentation, l’exclusion de cette catégorie de produits ne serait-elle pas un premier pas vers une amélioration ?
Deux raisonnements sont possibles : le premier écologique, le second nutritionnel. D’un point de vue environnemental, la culture de protéines végétales a certes un impact moins important pour une même surface – 7 fois plus de protéines végétales produites que de protéines animales -, cependant ces chiffres ne prennent pas en compte des facteurs environnementaux comme par exemple, une pente de la surface ou une pauvreté des sols qui empêcheraient la culture végétale mais permettraient l’élevage.
Du point de vue nutritionnel, les protéines animales sont de meilleure qualité nutritionnelle que les protéines végétales, mais en associant céréales et légumineuses il est par exemple possible d’y remédier, en évitant d’avoir un acide aminé limitant.
En revanche, ce qu’il faut prendre en compte c’est l’aliment dans sa globalité, et donc ce qui accompagne les protéines. Par exemple, l’un des oméga-3, le DHA, et les vitamines D et A sont uniquement d’origine animale, de même que le zinc et le fer sont majoritairement fournis par les viandes ; à l’inverse, certains nutriments accompagnent préférentiellement les protéines végétales. Il n’y a pas de dualité animal/végétal, mais une complémentarité.
En 2015, un accord collectif pour améliorer l’offre par la réduction des teneurs en sel et matières grasses a été signé (voir encadré). Pensez-vous que cette amélioration puisse avoir un impact significatif ?
Cette démarche va dans le bon sens mais attention à ne pas vouloir faire un omelette sans les oufs ! La charcuterie reste un produit alimentaire avec ses propres caractéristiques comme la présence de sel, qui joue un rôle indispensable, et de matières grasses. La quantité de ces dernières peut être revue à la baisse – comme le prévoit la charte – mais il est également important de prendre en compte la qualité.
Il est en effet possible d’améliorer le profil lipidique de la viande en modifiant l’alimentation animale : en proposant par exemple une alimentation à base de graines de lin ou de luzerne, riches en oméga-3, qui ont une influence sur la composition lipidique. Cette méthode est plus efficace chez les monogastriques, dont le porc, viande traditionnellement utilisée en charcuterie.
Une limite à cette méthode est cependant présente : si on améliore le profil lipidique d’une charcuterie pauvre en lipides, l’apport en oméga-3 sera très limité et a contrario, si on améliore le profil lipidique d’une charcuterie riche en graisses comme les rillettes, le profil pourra certes être amélioré, mais le produit restera riche en lipides et donc à consommer de façon occasionnelle.
Plus d’oméga-3 est donc une voie d’amélioration, mais n’est pas la panacée.
Un mot de la fin ?
Pour une alimentaire équilibrée, il n’est pas question d’exclure une classe d’aliments quelle qu’elle soit. dont les charcuteries !
Propos recueillis par Doriane Langlais,
FOODINNOV NUTRITION
En librairie : Bourre J.-M., La chrono-alimentation du cerveau. Editions Odile Jacob, Mars 2016.
Références bibliographiques :
- Afssa (2009). Etude Individuelle Nationale des Consommations Alimentaires 2 (INCA 2) (2006-2007), Rapport. Septembre 2009.
- Allbaugh L. G, 1953. Crete: A Case Study of an Underdeveloped Area. 1953 Princeton University Press, Princeton, NJ
- Anses, 2016. Composition nutritionnelle des aliments TABLE Ciqual – version 2016.
- Bastide N.M., Chenni F., Audebert M., Santarelli R.L., Taché S., Naud N., BaradatM., Jouanin I., Surya R, Hobbs D.A., Kuhnle G.G., Raymond-Letron I., Gueraud F., Corpet D.E. et Pierre F.H.F. A Central Role for Heme Iron in Colon Carcinogenesis Associated with Red Meat Intake, Cancer research, Janvier 2015, DOI: 10.1158/0008-5472.CAN-14-2554)
- Bourre J.-M., Buson C., L’Hirondel J.-L., 2011. Nitrates, nitrites, oxyde nitrique (NO) : nouvelles perspectives pour la santé ?Médecine & Nutrition 47 (2011) n°2, 43-50.
- Fict, 2016. L’attachement des Français aux charcuteries – Sondage OpinionWay pour la FICT, Décembre 2015.